Jeff CarrollPar Dr Jeff Carroll Edité par Dr Tamara Maiuri Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski

Pour rester en vie, les cellules du cerveau dépendent du soutien d’autres cellules. Des nutriments, appelés facteurs trophiques, agissent comme un engrais pour le cerveau, maintenant les cellules cérébrales voisines en bonne santé. Ce processus a été pendant longtemps considéré comme étant altéré dans le cadre de la maladie de Huntington, et de nouvelles recherches passionnantes sur des souris donnent une image très claire de ce qui se passe exactement.

La nourriture du cerveau

Les neurones, des cellules spécifiques du cerveau, transmettent des messages à d’autres et utilisent ces messages pour effectuer des calculs. Dans le règne animal, du ver rampant dans la boue à l’humain écrivant un poème, chaque activité dépend de ces cellules communiquant entre elles. Au niveau des synapses, connexions entre les neurones, des messages chimiques passent rapidement des cellules émettrices vers des cellules réceptrices.

Le 'striatum' est une partie de la structure profonde du cerveau, mise en évidence sur l'image. Le cortex, qui forme la surface du cerveau humain, fournit le BDNF au striatum.
Le ‘striatum’ est une partie de la structure profonde du cerveau, mise en évidence sur l'image. Le cortex, qui forme la surface du cerveau humain, fournit le BDNF au striatum.

Les messages chimiques transmis d’un neurone à un autre sont normalement appelés des neurotransmetteurs – ils sont à la base des communications de milliseconde en milliseconde intervenant dans le cerveau. Superposés sur ce babillage des neurotransmetteurs, d’autres messages chimiques sont envoyés par une cellule et reçus par une autre. Tout comme un seul fil de votre compagnie de télécommunication peut transporter plusieurs chaînes de TV, plus d'un type de communication s’effectue entre les neurones par l’intermédiaire des synapses.

L'un de ces canaux alternatifs transporte des signaux que les scientifiques appellent des facteurs neurotrophiques. Ceux-ci, contrairement aux neurotransmetteurs assurant la transmission des messages d’un neurone à un autre, sont des protéines importantes et complexes disant, un peu près, juste une chose : “rester en vie !”.

Cela semble un peu étrange – pourquoi les cellules cérébrales souhaiteraient-elles mourir ? En fait, une des choses les plus étranges à propos du cerveau humain : près de la moitié des cellules nées dans notre cerveau meurent avant d’atteindre l’âge adulte. Cela semble être du gaspillage mais il s’agit d’un processus qui a été sélectionné par l’évolution pour conserver notre cerveau rempli de neurones en bonne santé et bien connectés.

Même dans le cerveau adulte, une cellule séparée de ses voisines mourra simplement. L’un des principaux moyens pour notre cerveau de contrôler ce processus est de programmer des cellules cérébrales de manière à les rendre ‘accros’ aux importants composés chimiques libérés au niveau des synapses, en même temps que les neurotransmetteurs normaux. Dans la mesure où leur travail consiste à maintenir les neurones en bonne santé, les scientifiques appellent ces composés chimiques essentiels des facteurs neurotrophiques (-trophe signifie en grec ‘croissance’ ou ‘le fait de se nourrir’).

Du fait de cette conception apparemment étrange, notre cerveau est un ragoût constamment bouillonnant de facteurs neurotrophiques, chaque neurone ‘criant’ sans cesse à ses voisins, “Hé ! Reste en vie !”.

Il existe un grand nombre de facteurs neurotrophiques, avec un mélange confus de sigles alphabétiques pour les identifier (BDNF, GDNF, CNTF, TNF, TGF, et ainsi de suite). L’un de ces facteurs, appelé ‘facteur neurotrophique dérivé du cerveau’ ou BDNF, présente un intérêt particulier dans le cadre de la maladie de Huntington.

Des circuits essentiels dans le cerveau MH

La maladie de Huntington est associée à des motifs très spécifiques de mort cellulaire dans le cerveau. Le striatum, petite structure nerveuse située juste sous le cortex cérébral, semble être la région la plus vulnérable, se dégénérant presque complètement pendant la durée de vie d’une personne atteinte de la M.H.

Tout comme la plupart des régions du cerveau sont reliées les unes aux autres selon des circuiteries complexes, le striatum reçoit des données issues du cortex, la surface ridée du cerveau. Les scientifiques pensent que la détérioration de la communication entre ces deux régions du cerveau, le cortex et le striatum, pourrait expliquer la plupart des symptômes de la maladie de Huntington.

Comme pour la plupart des connexions dans le cerveau, la communication entre le cortex et le striatum est associée à la délivrance d’un facteur trophique – en l’espèce, le BDNF. Les cellules du cortex nourrissent les cellules du striatum avec le BDNF, leur rappelant constamment de ne pas mourir.

Dans la mesure où les cellules cérébrales du striatum semblent être si vulnérables chez les personnes MH, ce processus neurotrophique présentait un intérêt pour les scientifiques étudiant la maladie de Huntington. Si la délivrance de BDNF produit par le cortex vers le striatum était quelque peu altérée, cela pourrait-il expliquer la vulnérabilité du striatum ?

Les premiers travaux portant sur le BDNF

En fait, dès 2001, un groupe de scientifiques MH dirigé par le Professeur Eléna Cattaneo à Milan a constaté que les cellules possédant le gène MH mutant semblaient ne pas produire assez de BDNF. Des travaux subséquents menés par une équipe de scientifiques dirigée par les Professeurs Sandrine Humbert et Frédéric Saudou en France ont suggéré qu’en outre ces cellules semblaient avoir du mal avec la machinerie en charge du transport du BDNF.

Un très grand nombre d’études ultérieures ont suggéré que l’augmentation de la quantité de BDNF dans le cerveau, selon un éventail ahurissant de méthodes, permettait aux souris d’aller mieux. Il semble assez clair que, dans le cadre de la M.H., un apport plus important de BDNF est salutaire pour les cellules du striatum.

De nouveaux résultats surprenants

Une nouvelle étude menée par un groupe de scientifiques dirigé par le Professeur James Surmeier de l’Université de Northwestern à Chicago ajoute des détails importants à l’histoire du BDNF. L’équipe de Surmeier utilise des techniques sophistiquées pour étudier des synapses individuelles entre les neurones des cerveaux de souris. Des lasers montés sur leurs microscopes complexes permettent aux chercheurs d’activer des synapses individuelles et d’étudier la façon selon laquelle celles-ci pourraient être altérées dans le cadre de la M.H.

«Etonnamment, l'équipe de Surmeier n'a pas constaté de différence dans la quantité de BDNF produit par le cortex, ou dans la quantité délivrée aux neurones du striatum. »

Dans un processus cérébral normal, tel que l’apprentissage, l’équipe de Surmeier a pu observer le renforcement et l’affaiblissement des synapses individuelles – changements normaux à la base du processus d’apprentissage.

Cette flexibilité de la synapse en bonne santé a disparu chez les synapses spécifiques des souris MH, suggérant une communication précaire entre le cortex et le striatum. Dans le cerveau MH, qu’est-ce qui rend des synapses si réfractaires à effectuer leur travail correctement ?

L’équipe de Surmeier est partie à la découverte de ce qui pourrait être la cause de cette faible communication entre le cortex et le striatum. Motivée par des résultats antérieurs, celle-ci a examiné la délivrance du BDNF.

Etonnamment, dans les cerveaux de souris MH qu’elle a étudié, elle n’a pas constaté de différence dans la quantité de BDNF produit par le cortex, ou dans la quantité délivrée aux neurones du striatum. Ceci est très différent de ce qui a été observé par d’autres groupes de scientifiques.

Ce n'est pas toi, c'est moi

Est-ce à dire que le BDNF n’est pas important ? L’équipe de Surmeier est allée plus loin, prenant en considération les types de changements se produisant à l’intérieur des cellules lorsque le BDNF leur était délivré.

Afin que des produits chimiques, comme les neurotransmetteurs et les facteurs trophiques, puissent avoir un effet sur une cellule réceptive, ils doivent être reconnus comme cellule acceptante. Cette reconnaissance est achevée lorsque la cellule acceptante produit un récepteur spécifique pour chaque signal spécifique. En l’espèce, si le BDNF est la clé, ‘les récepteurs BDNF’ sont les trous de serrures situés à la surface de la cellule dans lesquels ils s’adaptent.

Comme si cette histoire n’était pas encore assez compliquée, le BDNF a, en réalité, trois (ou plus !) trous de serrures différents dans lesquels il peut s’adapter à la surface de la cellule réceptive. La nature agit de façon mystérieuse et peut-être, avec l’ultime but de maintenir ces neurones en bonne santé et bien connectés, certains récepteurs BDNF envoient des messages ‘reste en vie’, tandis que d’autres indiquent à la cellule : “tu peux mourir maintenant !”.

Merci à la nature d’être si compliquée.

Voici la version allégée de la découverte de l’équipe de Surmeier : chez les souris MH, les cellules du cortex produisaient assez de BDNF et les cellules du striatum recevaient autant de signaux ‘rester envie’ que chez des souris normales. Mais les souris MH recevaient également une dose supplémentaire de messages ‘mourir maintenant’ pouvant être envoyée par le BDNF.

Lorsque les scientifiques ont bloqué les récepteurs BDNF initiant le message ‘mourir maintenant’, ils ont constaté chez les souris MH que les cellules striatales devenaient plus flexibles, ressemblant plus à celles des souris normales.

S’agit-il de bonnes ou de mauvaises nouvelles ?

Le compte-rendu de Surmeier et de son équipe semblerait, à première vue, confus. Lorsqu’ils ont commencé à étudier le BDNF, ils s’attendaient à trouver un type de dysfonctionnement spécifique et ils ont, en réalité, trouver quelque chose de différent.

Mais, il s’agit en fait d’une grande avancée car cette découverte nous aide à comprendre beaucoup plus en détails ce qui se passe avec le BDNF chez ces souris MH. Des études à venir permettront de clarifier les raisons pour lesquelles différents types de souris MH ont donné différents résultats, ce qui devrait aider les scientifiques à mieux comprendre le rôle du BDNF dans le cadre de la maladie de Huntington.

Bien plus passionnant : cette étude a fourni une nouvelle cible pour le développement de médicaments. Plutôt que d’essayer d’augmenter le BDNF dans le cerveau, les scientifiques pourraient être en mesure de simplement bloquer un récepteur BDNF spécifique indiquant aux cellules de ‘mourir maintenant’. Dans la mesure où la signalisation BDNF via le canal ‘rester en vie’ est encore produite, nous pourrions prédire que ce type de traitement pourrait permettre aux souris MH d’aller mieux. Surveillez les travaux à venir portant sur le BDNF.

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