Jeff CarrollPar Dr Jeff Carroll Edité par Professor Ed Wild Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski

Le géant pharmaceutique Roche a récemment décrit une nouvelle technologie d’administration de médicaments, appelée la “navette cérébrale”. Pourquoi la maladie de Huntington a-t-elle été mentionnée dans de nombreux communiqués de presse portant sur cette technologie, et que peut-on espérer de cette nouvelle avancée ?

La barrière hémato-encéphalique

La conception d'un nouveau médicament est un travail difficile, avec des taux d’échec extrêmement élevés. Dans la mesure où de nombreux essais médicamenteux, coûteux, sont négatifs, la recherche suggère que chaque médicament couronné de succès coûte près d'un milliard de dollars pour le mettre sur le marché.

Le cerveau est très exigeant s'agissant des substances chimiques provenant de la circulation sanguine. Très peu de substances sont sur la liste des invités VIP du cerveau.
Le cerveau est très exigeant s'agissant des substances chimiques provenant de la circulation sanguine. Très peu de substances sont sur la liste des invités VIP du cerveau.

Aussi mauvais que cela puisse paraître, il est encore plus difficile pour les scientifiques de mettre au point des médicaments pour des maladies du cerveau, telles que la maladie de Huntington. Cela est dû, en partie, à l’énorme complexité du cerveau et à ses nombreux mystères non résolus. Mais autre complication : l’existence d’une chose appelée la barrière hémato-encéphalique, qui agit comme un filtre pointilleux, ou un videur de discothèque strict, excluant la plupart des substances du cerveau si elles ne sont pas sur la “liste des invités”.

Compte tenu de l’importance du cerveau pour notre survie et de sa fragilité, la barrière hémato-encéphalique est une défense cruciale contre l’intrusion dans le cerveau de substances toxiques et de créatures étrangères. L’inconvénient de cet énorme mur entre le cerveau et le sang est qu’il est très difficile de concevoir des médicaments qui pourraient être administrés dans le cerveau.

Conséquence, en partie, de cette barrière : l'insuffisance de médicaments contre des maladies du cerveau est encore plus élevée que pour d’autres maladies.

Médicaments anticorps pour la maladie d’Alzheimer

Dans la mesure où de nombreuses personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, celle-ci est une cible alléchante pour les compagnies pharmaceutiques aux fins de concevoir des médicaments. Toute compagnie compétente et assez chanceuse pour concevoir un médicament efficace pour la maladie d’Alzheimer pourrait récolter d’énormes bénéfices.

Une théorie importante parmi les scientifiques travaillant sur la maladie d’Alzheimer : les problèmes de mémoire et de pensée, dont souffrent les patients, sont causés par l’accumulation d’amas de protéines qu’ils appellent plaques. Ces plaques engorgent l’espace entre les cellules dans le cerveau, et semblent être associées au disfonctionnement et à la mort des cellules cérébrales qui les entourent.

Dans des modèles murins de la maladie d’Alzheimer, nous pouvons retirer ces plaques du cerveau en détournant une technique du système immunitaire. Lorsque notre corps est envahi d’organismes pathogènes, il réagit en développant un anticorps, lequel est, essentiellement, un capteur sur mesure qui reconnaît l’envahisseur et appelle le système immunitaire pour le supprimer.

«Chez les souris traitées, la navette a fonctionné, augmentant la pénétration de l'anticorps dans le cerveau et aidant à évacuer les plaques du cerveau. »

Les scientifiques ont développé des anticorps reconnaissant les plaques trouvées dans les cerveaux des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui aident à les supprimer. Chez les souris, au moins, il en résulte une amélioration de la pensée et de la mémoire.

Pourquoi avons-nous besoin d’une navette cérébrale ?

Problème résolu, alors ? Eh bien, non. Tout d’abord, il n’est pas évident de savoir, aux termes des essais menés jusqu’à présent, si la réduction des plaques dans les cerveaux humains pourrait être aussi bénéfique pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer que pour les souris.

Deuxièmement, les anticorps sont d’énormes molécules, et la barrière hémato-encéphalique les empêche, en grande partie, de pénétrer dans le cerveau lorsqu’ils sont injectés dans la circulation sanguine. Bien qu’il ne soit pas évident que cela puisse expliquer le fait que ces médicaments ont échoué dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, cette restriction n’a certainement pas aidé.

Le géant pharmaceutique Roche vient de décrire une nouvelle technologie, appelée la navette cérébrale, conçue pour aider à résoudre ce problème. Aux termes d’un article récent, il a décrit l’application de cette technique à un traitement par anticorps dans le cadre de la maladie d’Alzheimer.

Dans la mesure où le cerveau a besoin de nutriments spécifiques et d’autres éléments issus du sang, celui-ci possède des moyens actifs pour pomper ces substances désirées. En détournant spécifiquement une de ces voies – celle qui apporte du fer au cerveau – le laboratoire Roche espère glisser une molécule médicamenteuse à travers la barrière hémato-encéphalique.

Les scientifiques du laboratoire Roche ont pris un anticorps supprimant les plaques dans la maladie d’Alzheimer et l’ont fusionné avec leur navette cérébrale, espérant qu’il serait entraîné dans le cerveau avec le fer. Cela a fonctionné chez les souris traitées, augmentant la pénétration de l’anticorps dans le cerveau et permettant d’évacuer les plaques du cerveau.

La 'navette cérébrale' de Roche attache une molécule médicamenteuse à une autre inscrite sur ​​'la liste des invités' du cerveau, en stimulant son absorption dans le sang.
La ‘navette cérébrale’ de Roche attache une molécule médicamenteuse à une autre inscrite sur ​​'la liste des invités’ du cerveau, en stimulant son absorption dans le sang.

En fait, depuis des décennies, les scientifiques ont eu recours à cette astuce en laboratoire. Le laboratoire Roche a mis au point un moyen plus efficace afin que la navette cérébrale sorte du sang et entre dans le cerveau, là où il faut.

Mais qu'en est-il pour la MH ?

De nombreux communiqués de presse ont vanté l’application éventuelle de cette technologie dans d’autres maladies, en ce compris la maladie de Huntington. Retour en Avril 2013 : le laboratoire Roche a mis en émoi la communauté MH en annonçant un énorme accord avec Isis Pharmaceuticals, une compagnie biotechnologique en Californie travaillant sur des médicaments de silençage génique pour la MH.

Tout comme les anticorps mis au point par les compagnies pour la maladie d’Alzheimer, les médicaments de silençage génique, qu’Isis et d’autres compagnies ont mis au point pour la MH, sont gros et auront des difficultés pour traverser la barrière hémato-encéphalique. L’espoir est que de futures études pourraient prouver que la navette cérébrale du laboratoire Roche peut transporter rapidement des médicaments antisens, et peut-être d’autres, dans le cerveau, là où ils sont utiles dans le cadre de la MH.

En résumé

Cette étude décrit un joli accessoire supplémentaire pour la boîte à outils des chercheurs de médicaments qui se démènent pour administrer de gros médicaments dans le cerveau. En théorie, celui-ci pourrait être très utile dans le cadre de traitements MH, tels que le silençage génique qui s’appuie sur de grosses molécules ayant des difficultés à pénétrer dans le cerveau. Pour le moment, personne n’a testé de navette cérébrale pour délivrer des médicaments MH spécifiques soit chez des modèles animaux, soit chez l’homme, mais il est sûr qu’il s’agit là d’une priorité dans l’agenda du laboratoire Roche et de ses collaborateurs.

Dr Carroll a collaboré scientifiquement avec la compagnie Isis Pharmaceuticals, mentionnée dans l'article. Celle-ci continue à fournir au laboratoire du Dr Carroll un soutien non financier à la recherche, mais n’a pas participé à la rédaction ou au contenu de cet article. Dr Wild n'a aucun lien avec Isis ou Roche. Pour plus d'informations sur notre politique d'information voir notre FAQ ...