Interview : l’équipe scientifique de CHDI
HDBuzz interviewe les scientifiques de renom de CHDI, le plus grand bailleur de fonds de la recherche MH dans le mond
Par Professor Ed Wild 26 mai 2012 Edité par Dr Jeff Carroll Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 18 mai 2012
La conférence thérapeutique sur la maladie de Huntington a apporté, en 2012, une bonne dose de nouvelles, d’enthousiasme et d’optimisme pour les personnes qui attendent désespérément des traitements efficaces pour la MH. HDBuzz a interviewé quelques grands esprits scientifiques au sein de la Fondation CHDI, organisatrice de la conférence.
Qu'est-ce que CHDI ?
Un grand nombre de personnes issues de familles touchées par la MH n'ont pas entendu parler de la Fondation CHDI et, c'est pour nous une source continue de surprise dans la mesure où celle-ci est, de loin, le plus grand bailleur de fonds pour la recherche MH à travers le monde.
La structure et la mission de CHDI sont très inhabituelles - pas seulement dans le cadre de la maladie de Huntington, mais dans n'importe quel domaine de la recherche. A bien des égards, CHDI ressemble à une compagnie pharmaceutique commerciale - elle a une structure de gestion, dispose d'un pipeline de ‘cibles’ et emploie des ‘chasseurs scientifiques de médicaments’ dont beaucoup avec une expérience dans l'industrie pharmaceutique. Mais, CHDI est une organisation à but non lucratif, financée entièrement par des dons, sans nécessité de verser des dividendes à des actionnaires. La principale motivation de CHDI est le temps, pas l'argent. Unique, la Fondation CHDI s'engage entièrement à développer des médicaments pour une seule maladie - la MH - et, également inhabituel, elle n'a pas de laboratoires physiques qui lui sont propres ; elle conduit plutôt la recherche MH grâce à des collaborations avec des chercheurs commerciaux et universitaires.
Notre entrevue lors de la conférence 2011 a couvert en détail l'organisation inhabituelle de CHDI. Cette année, nous voulions nous concentrer sur que ce qui est nouveau et sur le sentiment d'enthousiasme, palpable lors de la conférence 2012, autour des essais de nouveaux médicaments à venir pour la MH.
Un moment passionnant pour les médicaments
Comme nos tweets et nos comptes-rendus de la conférence le montrent, il existe un réel sentiment que l'année 2012 marquera le début d'une nouvelle ère dans le développement de médicaments pour la maladie de Huntington. Plusieurs essais humains portant sur le silençage génique, attendus depuis longtemps, sont prévus ; et les efforts parallèles de CHDI visant à produire de nouveaux médicaments, ciblant spécifiquement les différents problèmes de la MH, ont considérablement progressé.
Nous avons commencé par demander à Robert Pacifici, conseiller scientifique en chef de CHDI, s'agissant des essais à venir, ce qui était différent de ce que nous avions vu auparavant. Il a répondu que trois choses le rendent optimiste. “La première est le nombre d'essais. Nous avons beaucoup de choses dans la trémie qui sont à un stade très avancé. La seconde est la diversité. Si nous étions seulement concentrés sur une seule approche, je pourrais être très nerveux, mais nous ne le sommes pas - il y a la diversité”.
Pacifici et ses dirigeants chimistes et biologistes, Celia Dominguez et Ignacio Mu~noz-Sanjuan, sont, à juste titre, fiers des médicaments qu'ils ont soigneusement conçus et testés. Une chose qui caractérise la prochaine génération de médicaments expérimentaux, c'est que ceux-ci sont spécifiquement conçus pour la maladie de Huntington plutôt que ré-usinés à partir d'autres maladies - ou comme Dominguez le dit, “ces molécules ont été fabriquées à la main pour la MH depuis le début”.
«Ils ont toutes les chances de réussite – mais si les essais échouent, ils seront toujours instructifs. Tous vont donner un résultat définitif ». »
Le troisième changement, que CHDI vise à atteindre, touche au cœur même de la motivation des chercheurs à lancer un essai clinique. “Nous avons des choses conçues de telle manière qu'elles ont toutes les chances de réussite - mais si elles échouent”, dit Pacifici “elles seront toujours instructives. Toutes vont donner un résultat définitif”.
Cela nécessite deux ajustements fondamentaux de la manière dont les essais sont exécutés. Tout d'abord, des tests approfondis doivent être effectués sur le médicament avant qu'il n'accède à un essai clinique, afin de s'assurer qu'il fait ce qu'il est censé faire. Puis, l'essai doit être conçu de manière à ce qu'il permette des résultats donnant un sens, que ce soit positif ou négatif.
Etant donné le coût financier et la durée des essais, dit Pacifici, il ne suffit pas d'obtenir un résultat négatif et de ne pas savoir pourquoi. La conception des essais de CHDI utilise trois couches de ‘biomarqueurs’ pour suivre à la trace les effets d'un médicament pour atteindre sa cible et avoir un “effet biologique significatif” sur la maladie. “Il est toujours possible, même avec ces trois choses, que le médicament ne traite pas la maladie de Huntington, mais si je sais que j'ai atteint la cible et que cela ne traite pas la maladie, je sais que je dois m'éloigner de cette cible”.
Pacifici cite, à titre d'exemple d'approche CHDI, la caspase-6, une enzyme qui semblait être importante dans le découpage de la protéine huntingtine mutée en fragments toxiques. CHDI a travaillé intensivement à l'étude de l'enzyme et au développement de médicaments visant à réduire son activité. Mais ils ont découvert qu'elle semblait moins prometteuse comme approche de traitement, et la décision difficile a été prise d'abandonner le programme. Mais CHDI n'a pas seulement abandonné la caspase-6, souligne Pacifici. “Nous avons fait en sorte de mettre fin correctement au projet et nous avons publié nos résultats, afin que toute personne intéressée puisse les utiliser. Nous serions heureux si quelqu'un nous démontre que nous avons eu tort”.
Une nouvelle approche
Avec le silençage génique et des médicaments passionnants, tels que les inhibiteurs de phosphodiestérases (PDE) et les inhibiteurs de KMO progressant rapidement vers des essais cliniques, si CHDI était une compagnie pharmaceutique régulière, cela pourrait être le moment de faire une pause dans ses efforts pour découvrir de nouvelles cibles et développer de nouvelles molécules. Au lieu de cela, la Fondation vient de dévoiler une nouvelle approche relative au problème d'étude et de développement de traitements pour la MH - l'utilisation de la biologie des systèmes.
Keith Elliston est le Vice Président de CHDI, nouvellement nommé pour la biologie des systèmes. “Les systèmes biologiques” explique Elliston, “ont eux-mêmes une nature particulière que vous ne pouvez pas comprendre en observant une seule pièce à la fois. Nous devons observer la collection de pièces dans son ensemble plutôt que des composants individuels”.
Il semblait donc raisonnable que nous demandions brièvement pourquoi quelqu'un voudrait faire les choses différemment. Elliston bascule vers l'historique. “La révolution de la biologie moléculaire a fondamentalement changé notre façon de penser au sujet de la biologie. Il nous a fallu partir d'un état où nous observions l'ensemble des systèmes, tels qu'ils fonctionnent, à celui où nous pourrions les détacher de leurs composants atomiques. Mais, il est très clair que les systèmes biologiques sont bien plus complexes que cela”.
Logique, mais la maladie de Huntington n'est-elle pas au fond un problème simpliste - un bégaiement génétique unique, responsable de la mort des cellules du cerveau ? “Pas tout à fait”, dit Elliston. “Une cellule avec la mutation MH a changé sa nature - elle n'est pas morte, elle est encore en vie, mais elle est fondamentalement altérée. Le défi est de découvrir comment elle est altérée, puis comment nous pouvons ramener le système à un état plus favorable”.
Elliston estime que la biologie des systèmes apporte une nouvelle façon d'aborder le développement des médicaments. “La sagesse conventionnelle indique que si nous fabriquons un médicament qui modifie un seul point dans le système, nous pouvons changer la façon dont le système fonctionne. Mais les médicaments ont de nombreux effets différents, et il pourrait y avoir un ensemble d'effets qui donne un coup de pouce au système, d'une façon ou d'une autre”.
Dans un sens, alors, il semble que la biologie des systèmes est de réaliser que nous avons toujours eu affaire à des systèmes, peut-être sans s'en rendre compte. Elliston a une fine analogie. “Si je prends une punaise et que je l'appuie contre le ballon, je le crève. Si je prends une main et que je l'appuie à différents points, cela change la forme du ballon. C'est la même chose avec la biologie. Plus je la pousse doucement, plus probablement je me déplacerai d'un état à un autre”.
L'ouverture et le partage sont des aspects importants de la progression de CHDI vers la biologie des systèmes. La Fondation a plusieurs partenaires universitaires et industriels, et vise à combler les lacunes là où les méthodes traditionnelles de travail n'ont pas toujours bien fait. “L'essentiel que CHDI peut faire est de construire des bases de données - quels sont les modèles exacts dont nous avons besoin ? quels sont les mécanismes de la maladie ? - lorsque nous mettons ces choses ensemble et les empaquetons, nous pouvons fondamentalement lancer le coup d'envoi des programmes MH vers l'industrie pharmaceutique, parce que nous avons fait de la biologie”.
«Notre stratégie consiste à faire en sorte que tout ce qui est critique soit sous notre contrôle »
“Grande pharma”
Cela a été une année mitigée pour l'industrie pharmaceutique et la maladie de Huntington. Les familles MH ont été tout naturellement déçues lorsque la compagnie Novartis a annoncé qu'elle se retirait de leur programme portant sur les maladies neurodégénératives, y compris de leur travail sur la MH.
Dans l'intervalle, un autre géant pharmaceutique, Pfizer, a annoncé de grands résultats préliminaires sur sa collaboration avec CHDI pour développer des médicaments PDE afin d'améliorer le fonctionnement des connexions synaptiques entre les neurones. Pfizer est en train de planifier un essai médicamenteux qui pourrait débuter dès 2013.
Pacifici demeure positif sur l'implication, parfois imprévisible, des compagnies pharmaceutiques commerciales dans la recherche MH. “Parce que CHDI a le luxe du long terme et des ressources financières” dit-il “nous pouvons nous élever au-dessus. Il est décevant lorsqu'une compagnie ne privilégie plus les choses, mais notre stratégie consiste à faire en sorte que tout ce qui est critique soit sous notre contrôle”.
A partir de petites graines
CHDI s'est réinventée, cette année, un nouveau logo - un arbre fabriqué à partir de structures connectées - représentant la chimie des molécules de médicaments, ou éventuellement la biologie des systèmes d'Elliston. C'est une image appropriée puisque les graines que CHDI a plantées et entretenues ces sept dernières années se sont souvent montrées fragiles et difficiles à cultiver. Mais, il existe un réel sentiment, tant au sein de la Fondation qu'au sein de la communauté mondiale des scientifiques MH, que leurs efforts seront récompensés et il y a toutes les raisons de croire que les essais de médicaments à venir, “conçus spécifiquement avec, en tête, la MH” porteront leurs fruits. Ou, à tout le moins, fourniront un abri contre la tempête.