Par Carly Desmond Edité par Professor Ed Wild Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski

La protéine huntingtine mutante n’est pas toute seule à l’origine des dommages – toutes les protéines agissent à travers des réseaux connectés. Les chercheurs de l’Institut Buck de recherche sur le vieillissement en Californie ont mené un criblage à grande échelle, afin d’identifier des réseaux protéiques pouvant jouer un rôle dans la diminution ou l’aggravation des effets nocifs de la mutation MH. La manipulation de ces réseaux pourrait-elle offrir de nouvelles options thérapeutiques pour la MH ?

La protéine huntingtine : aller à la racine du problème

L'année 2013 marque le 20ème anniversaire de la découverte de l'origine génétique de la maladie de Huntington. Pour la première fois, les scientifiques ont appris qu'une répétition de la séquence ADN dans un seul gène était anormalement longue chez les personnes développant la MH. Chacun de nos gènes fournit à nos cellules les instructions nécessaires pour produire une protéine particulière, qui, dans le cadre de la maladie de Huntington, est la protéine huntingtine. La mutation de cet ensemble d'instructions génétiques a pour conséquence la fabrication de cette protéine avec une erreur, conduisant à des changements subtils dans le comportement cellulaire de celle-ci. Dans la mesure où une personne atteinte de la MH vieillit, ces changements ont de graves conséquences, en particulier dans les neurones du cerveau.

Un grand filet va attraper beaucoup de poissons, mais c'est un travail difficile à traiter et des poissons indésirables risquent d'être attrapés. La recherche orientée par la découverte est semblable - elle génère une grande quantité de données qui doit être analysée très soigneusement afin d'éviter des conclusions erronées.
Un grand filet va attraper beaucoup de poissons, mais c'est un travail difficile à traiter et des poissons indésirables risquent d'être attrapés. La recherche orientée par la découverte est semblable - elle génère une grande quantité de données qui doit être analysée très soigneusement afin d'éviter des conclusions erronées.

Cette découverte révolutionnaire a permis aux scientifiques de concentrer leurs efforts sur un travail très spécifique ; afin de vraiment comprendre la maladie, ils auraient besoin d'apprendre tout ce qu'ils pouvaient sur la protéine huntingtine elle-même. Cela ne signifie pas seulement de savoir ce que la protéine huntingtine fait dans le corps d'un individu en bonne santé, mais également ce qui ne va pas chez une personne atteinte de la MH.

Qu'est-ce qui pourrait être si important au sujet d'une protéine ?

Les protéines sont souvent amenées à avoir des ‘fonctions’ spécifiques dans la cellule. Afin de comprendre ce que cela signifie, il peut être utile d'imaginer chaque cellule de notre corps comme étant une usine active. Il faut beaucoup de personnes différentes réalisant beaucoup de tâches différentes, afin de maintenir les opérations permettant à l'usine de bien fonctionner. Tous ces employés ont un ensemble de compétences spécifiques, et si une seule personne ne parvient pas à effectuer correctement son travail, la productivité de toute l'usine est en danger.

Donc, si nos cellules sont comme des usines, les protéines pourraient être les employées. Tout comme les travailleurs individuels, chaque protéine doit effectuer un ensemble de tâches, ou ‘fonctions’. Dans le cadre de la MH, lorsque la protéine huntingtine est mutée, cela affecte la manière selon laquelle la huntingtine remplit ses fonctions.

Tout comme aucune personne ne pourrait effectuer seule toutes les tâches dans une usine, aucune protéine ne fonctionne complètement seule. Au lieu de cela, elle fait partie d'un réseau protéique, où les protéines interagissent les unes avec les autres afin de travailler efficacement, en équipe. Ainsi, pour comprendre la fonction d'une protéine, les scientifiques doivent également déterminer les relations qu'elles entretiennent avec les autres protéines dans la cellule.

Il a été estimé que notre ADN fournit des instructions pour fabriquer environ 30 000 protéines différentes. Comprendre comment toutes ces protéines sont connectées les unes aux autres, et comment elles pourraient être affectées dans le cadre de la MH, devient un défi presque insurmontable.

Hypothèse et découverte

Afin de faire face à la complexité de la biologie moderne, certains chercheurs sont passés d'une recherche traditionnelle ‘orientée par l'hypothèse’ à une approche appelée recherche ‘orientée par la découverte’.

Une hypothèse est une prédiction que les scientifiques font, en se basant sur ce qu'ils savent déjà. Une bonne hypothèse est celle qui peut être vérifiée facilement. Voici un exemple simple : émettons l'hypothèse selon laquelle les chats préfèrent manger du poulet plutôt que du thon. Une manière de vérifier cela serait de mettre deux bols, chacun contenant un mets différent. En comptant les chats qui s'approchent de chacun des bols, nous obtiendrons la preuve permettant de soutenir ou de rejeter l'hypothèse.

La recherche orientée par l'hypothèse fonctionne vraiment bien, à condition de connaître déjà une bonne quantité de choses, en particulier sur le sujet que l'on étudie. Toutefois, lorsque l'on cherche à comprendre ce qu'une protéine fait parmi un réseau d'un millier d'autres protéines différentes, la progression peut aller très doucement lorsque l'on pose une question à la fois. Imaginez que vous voulez découvrir l'aliment préféré des chats parmi 30.000 aliments - mais que vous ne pouvez en tester que deux à la fois !

La recherche orientée par la découverte est un moyen de mettre en lumière des processus biologiques, pouvant être impliqués dans une maladie. On pourrait dire que cette approche ne génère aucune réponse, mais génère de meilleures questions. Cela indique aux chercheurs où porter leur attention pour de futures études.

Les expériences orientées par la découverte, appelées criblages, nécessitent des milliers de mini- expériences différentes, menées simultanément.

«Certains de ces réseaux étaient déjà connus depuis de précédentes études, mais certains n'avaient pas auparavant été impliqués dans la MH. »

D'une certaine façon, les criblages biologiques sont, un peu, comme la différence entre la pêche au chalut et la pêche à la ligne. C'est une technique puissante, mais qui nécessite plus d'efforts pour trier ce qui est pris.

Réduire au silence des gènes individuels avec l'ARNi

Une nouvelle étude, publiée dans la revue PLOS Génétique, menée par Robert Hughes de l'Institut Buck de recherche sur le vieillissement en Californie, décrit un criblage orienté par la découverte, à la recherche de réseaux protéiques affectés par la huntingtine mutante. En utilisant une technologie, appelée ARNi, l'équipe de Hughes a travaillé aux fins d'identifier des protéines individuelles qui pourraient contribuer aux effets nocifs de la protéine mutante.

L'ARNi représente l’ARN interférence, et est une technique de ‘silençage génique’. L'ARNi est utilisée pour réduire le taux d'une seule protéine dans la cellule. Cela aide à déterminer ce que la protéine pourrait faire et son importance pour d'autres activités cellulaires.

L'ARNi intercepte le message chimique produit lorsqu'une protéine est fabriquée, et le détruit - empêchant la protéine de se former. Pratiquement n'importe quel gène et sa protéine correspondante peuvent être ciblés en utilisant l'ARNi.

Un criblage d'ARNi et quelques fragments toxiques

L'équipe de Hughes a, tout d'abord, cultivé des cellules en laboratoire, lesquelles avaient été génétiquement modifiées afin de leur faire produire la partie la plus nocive de la protéine huntingtine mutante. Ce 'fragment’ de huntingtine mutante entraîne la mort des cellules plus rapidement si les nutriments appropriés ne sont pas disponibles. La santé des cellules peut être évaluée en mesurant les changements qui surviennent lorsqu'une cellule est en train de mourir.

Afin d'identifier les protéines impliquées dans les effets nocifs de la huntingtine mutante, le Dr Hughes et ses collègues ont utilisé une ‘bibliothèque’ d'environ 7 000 produits chimiques ARNi, chacun ciblant une protéine différente.

Ces 7 000 produits chimiques ARNi ont été, chacun, testées sur un lot distinct de cellules. Les chercheurs ont, de cette façon, été en mesure d'analyser les effets de chaque protéine qui était ‘éteinte’. Si le silençage du gène entraîne une mort plus rapide des cellules, cela suggère que la protéine correspondante pourrait normalement être protectrice pour la cellule. Et si les cellules meurent plus lentement, cela signifie que la protéine pourrait avoir pour conséquence une aggravation des choses dans la MH.

Une puissance de calcul

Des expériences, comme celle-ci, fournissent une tonne de données ; en conséquence, des ordinateurs sont utilisés pour analyser et donner un sens à tout cela. Heureusement, de nombreux réseaux protéiques ont déjà été cartographiés à l'aide d'approches scientifiques traditionnelles.

L'ordinateur crée une nouvelle carte, en plaçant les ‘composés’ (ou ‘hits’) issus des nouvelles données sur la carte du réseau existant. En utilisant cette technique, l'équipe de Hughes a constaté que certains réseaux ont eu plus de ‘composés’ que prévu ; ce qui indique qu'ils pourraient jouer un rôle important dans le développement de la maladie de Huntington.

Toutes les protéines, y compris la huntingtine, agissent aux côtés d'autres protéines au sein de réseaux. Se concentrer sur des réseaux, plutôt que sur des protéines individuelles, est un bon moyen de transformer des données issues d'un criblage en quelque chose de significatif.
Toutes les protéines, y compris la huntingtine, agissent aux côtés d'autres protéines au sein de réseaux. Se concentrer sur des réseaux, plutôt que sur des protéines individuelles, est un bon moyen de transformer des données issues d'un criblage en quelque chose de significatif.

Certains de ces réseaux étaient déjà connus depuis de précédentes études, apportant la confirmation aux scientifiques que leur approche orientée par la découverte avait fonctionné. Cependant, ils ont également trouvé par hasard des réseaux qui n'avaient pas, auparavant, été impliqués dans la MH. Un des réseaux en particulier, connecté à la huntingtine via une protéine appelée RRAS, a été mis en évidence par le criblage.

En raison d'une très grande quantité de réseaux en cause, il est important d'effectuer un suivi d'expériences distinctes afin de vérifier les constatations les plus frappantes. Ainsi, l'équipe de Hughes a réalisé des expériences dans plusieurs modèles cellulaires différents, ainsi que chez le modèle de mouche à fruits MH, et a constaté que RRAS était capable de protéger contre la mort cellulaire. Encore mieux, ils ont réussi à identifier, au sein du réseau, les activités spécifiques des protéines que l'on pourrait cibler plus facilement avec des médicaments.

Connaître nos limites

L'aspect le plus passionnant de cette étude est la mise en évidence de nouveaux réseaux qui peuvent être impliqués dans la maladie de Huntington. Toutefois, tout comme le filet de pêche du chalut n'est pas assez grand pour tout l'océan, certains réseaux de protéines importants ont probablement été manqués avec ces travaux.

Une des raisons à cela est le modèle cellulaire utilisé pour le criblage. Plutôt que de faire produire par les cellules le gène huntingtin mutant pleine longueur, les chercheurs ont choisi d'utiliser seulement un petit fragment. Cela signifie que des protéines ou des réseaux dépendant de la protéine huntingtine complète auront été manqués.

Une autre raison est le type de cellule utilisé lors des expériences. Ces travaux ont été réalisés avec des cellules disponibles commercialement, appelées HEK293. Ces cellules sont faciles à cultiver en très grandes séries pour des expériences à grande échelle, comme celle-ci. Mais, après avoir été modifiées, de manière à avoir des propriétés faciles à étudier, elles n'ont plus le même comportement que celui des cellules saines du corps - et sont certainement très différentes des neurones.

Afin de pallier ces éventuelles faiblesses dans le modèle expérimental du criblage initial, tous les ‘composés’ ARNi ont à nouveau été vérifiés dans des lignées cellulaires produisant la huntingtine pleine longueur, ainsi que chez des modèles plus complexes de mouches à fruits MH. Et le réseau RRAS a été examiné chez un modèle murin de la MH.

Et ensuite

Ces travaux représentent un effort important de la part des chercheurs impliqués. Le criblage biologique exige beaucoup de planification minutieuse ! Cependant, avec cette étude sous le coude, l'équipe pourrait poursuivre ces travaux en réalisant un criblage similaire dans les cellules contenant la huntingtine pleine longueur.

S'agissant des ‘composés’ du criblage actuel, il reste encore beaucoup à explorer. Une des approches pourrait être d'étudier le réseau RRAS - ou même de répéter le criblage - dans des modèles cellulaires plus ‘précis’, tels que les cellules souches issues de patients MH.

Quelque soit l'avenir promis de cette recherche, il s'agit d'un bon exemple de la manière selon laquelle la recherche orientée par la découverte peut générer de nouvelles cibles et idées, à condition de rester conscient des limites des techniques. Nous sommes impatients d'en apprendre davantage sur la façon selon laquelle ces nouveaux réseaux protéiques influencent le développement de la MH, ainsi que sur la façon selon laquelle ils pourraient être manipulés dans la recherche de traitements.

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