Sous un angle plus large : observation des symptômes non moteurs dans le cadre de la MH
Dans le cadre de la MH, les déficits de sommeil précèdent les problèmes moteurs.
Par Melissa Christianson 23 février 2016 Edité par Dr Jeff Carroll Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 25 janvier 2016
Les descriptions courantes de la maladie de Huntington, ne mettant l’accent que sur les symptômes moteurs, brossent un tableau incomplet de la maladie réelle. La maladie de Huntington engendre à la fois des symptômes moteurs et non-moteurs qui, conjointement, affectent l’ensemble du corps. A présent, les scientifiques adoptent un angle plus large pour explorer cet ensemble complet de symptômes MH et déterminer comment ceux-ci pourraient être liés à la maladie.
Zoom arrière
Bien que les émissions télévisuelles et films dépeignent souvent la maladie de Huntington comme un simple trouble moteur, qui que ce soit au sein de la communauté MH sait que cette image est une énorme simplification. Comprendre la maladie de Huntington nécessite un zoom arrière et une prise en considération de la maladie sous un angle beaucoup plus large. En réalité, la maladie de Huntington est une maladie systémique qui affecte de nombreuses parties différentes du corps et aspects de la vie, et ses symptômes non-moteurs peuvent être tout aussi dévastateurs que leurs homologues moteurs, plus célèbres.
Notre compréhension croissante de la maladie de Huntington, comme étant une maladie systémique, apporte de nouvelles questions. Quels sont les tous premiers signes et symptômes de la MH ? Comment les différents symptômes sont-ils liés ? Les premiers symptômes MH en affectent-ils d’autres plus tard?
Dans le présent article, nous allons parler d’une nouvelle recherche entreprise pour répondre à ces questions.
Symptômes de près
Cette nouvelle recherche se concentre sur des symptômes MH perturbant deux aspects importants de la santé : le sommeil et le poids corporel.
Commençons avec le sommeil. Vous pouvez savoir à quel point le sommeil est très important pour nous les humains par le constat du temps de sommeil : l’individu passe en moyenne plus de temps à dormir qu’à travailler, regarder la télévision, cuisiner et nettoyer, le tout réuni.
Cependant, les personnes atteintes de la maladie de Huntington souffrent de perturbations du sommeil, apparaissant au début de la maladie, qui affectent à la fois la quantité et la qualité de leur sommeil. Ainsi que nous l’avons vu précédemment, les personnes atteintes de la MH se réveillent plus souvent et dorment moins profondément que les personnes saines. Nous ne savons pas exactement pourquoi ces perturbations du sommeil apparaissent, mais les taux détraqués d’une hormone appelée mélatonine peuvent y être impliqués (pour en savoir plus sur la mélatonine dans le cadre de la MH : ici.
Cette perte de sommeil est importante car, même pour les personnes en bonne santé, elle est associée à un ensemble de problèmes de santé physique et mentale. Arrêt cardiaque, prise de poids, problèmes cognitifs ; le risque de ceux-ci, et de nombreux autres problèmes de santé en plus, se développe lorsque notre sommeil est perturbé.
Les personnes atteintes de la maladie de Huntington présentent également souvent une perte de poids progressive et un faible poids corporel au cours de leur maladie. Les scientifiques recherchent actuellement la cause de ces symptômes mais nous savons déjà que ce n’est pas seulement du fait que les personnes MH ne mangent pas assez. Ces symptômes peuvent donc être une conséquence des changements au niveau de l’équilibre énergétique et/ou du métabolisme. Cependant, tout comme avec le sommeil, ces symptômes prédisposent les personnes atteintes de la MH à des problèmes de santé supplémentaires.
Certains scientifiques, se basant sur ces liens, se demandent si des problèmes de sommeil et du métabolisme pourraient aggraver, voire déclencher, d’autres symptômes MH. Pour que cette idée se réalise, il faudrait que ces symptômes apparaissent très tôt dans la maladie, avant l’apparition d’autres symptômes. Cependant, nous ne savons pas si c’est le cas (ou non) car jamais personne n’a mis en évidence quand (et si) débutent effectivement les problèmes de sommeil et du métabolisme dans le cadre de la maladie de Huntington.
Formulation de la question
Pour répondre à cette question, une équipe de scientifiques de l’Université de Cambridge, dirigée par le Dr Roger Barker, a conçu une étude de recherche portant sur l’examen du sommeil et du métabolisme dans le cadre de la maladie de Huntington.
L’équipe de Barker a, dans son étude, réuni trois groupes de sujets : des personnes saines, des personnes MH pré-symptomatiques (qui ne présentent pas encore de symptômes moteurs) et des personnes atteintes de la MH au premier stade de la maladie (qui présentent de légers symptômes moteurs). Ces sujets étant tous à différents stades de santé ou de maladie, ils ont donné aux scientifiques un moyen facile pour voir à quoi ressemblaient les symptômes alors que la maladie progresse.
Les scientifiques ont étudié très minutieusement ces sujets en laboratoire et dans la “vie réelle” par l’intermédiaire de questionnaires, de surveillance des mouvements et des ondes cérébrales, de tests sanguins et d’évaluation de la consommation d’énergie. Cette étude approfondie leur a confirmé que tout ce qu’ils avaient observé reflétait ce qui se passait vraiment dans la maladie.
Une image se développe
Cette étude a révélé une description intéressante du sommeil et du métabolisme dans le cadre de la maladie de Huntington.
S’agissant du sommeil, les déficits sont apparus au cours de la maladie pré-symptomatique et étaient apparents bien avant l’apparition des symptômes moteurs. Comme cela se passe plus tard au cours de la maladie, ces déficits ont principalement perturbé la continuité du sommeil : les personnes pré-symptomatiques se réveillent plus souvent, passe du temps éveillé au milieu de la nuit et dorment moins profondément que les personnes saines. Ces problèmes ont été progressifs et se sont aggravés au début de la maladie.
En revanche, des déficits semblables au niveau du métabolisme ne sont pas présents avant l’apparition des symptômes moteurs. En fait, les scientifiques n’ont observé aucune différence métabolique convaincante entre les volontaires en bonne santé et les personnes pré-symptomatiques ou atteintes de la maladie de Huntington. Ce constat était surprenant compte tenu de la perte progressive de poids/le faible poids corporel associés à la maladie de Huntington mais celui-ci a été confirmé par une seconde étude complète et indépendante menée par le Dr Thomas Warner de l’University College London.
Augmenter la résolution
Ensemble, ces résultats fournissent un tableau en haute résolution des symptômes non-moteurs dans le cadre de la maladie de Huntington.
Premièrement, ils nous montrent que les perturbations du sommeil sont parmi les premiers symptômes de la maladie de Huntington. Celles-ci débutent avant les symptômes moteurs, juste au moment où les premiers déficits de jugement, de mémoire et d’autres capacités cognitives commencent à apparaître (voir plus loin).
Deuxièmement, ils mettent en évidence une petite région du cerveau, appelée hypothalamus. Celle-ci a seulement environ la taille d’une amande mais elle joue un rôle important dans la régulation de nos états de sommeil et d’insomnie. Si, dans le cadre de la maladie de Huntington, des modifications au sein de cette petite région du cerveau sont responsables des problèmes de sommeil, alors celles-ci seraient parmi les premiers changements à se produire au sein du cerveau. Comprendre ces premiers changements pourrait nous donner une bonne base pour comprendre les changements les plus répandus qui se produisent dans le cerveau plus tard au cours de la maladie.
Troisièmement, dans la mesure où les déficits de sommeil étaient facilement évaluables, ceux-ci apportent un nouveau biomarqueur potentiel relatif à l’apparition ou à la progression de la maladie de Huntington. Les biomarqueurs sont des tests évaluant ou prédisant la progression de maladies, telles que la maladie de Huntington, et ils sont importants car ils nous permettent de décrire objectivement les maladies. Un biomarqueur axé sur certains aspects du sommeil qui pourrait être non invasif , suivi au fil du temps, pourrait être un outil précieux dans le cadre d’essais cliniques et pourrait éventuellement être utile pour prédire le moment où un individu développerait des symptômes moteurs.
Enfin, le fait que cette étude n’ait pas trouvé de déficits manifestes dans le métabolisme souligne combien il est important de tester nos idées sur ce qui se passe dans le cadre de la maladie de Huntington – parce que parfois nous avons tort. Une explication sur le faible poids corporel basée sur une altération du métabolisme est une idée attractive mais les nouvelles données ne la soutiennent absolument pas. Découvrir ceci maintenant est vraiment bien car maintenant nous pouvons aller de l’avant pendant que nous cherchons de meilleures explications s’agissant des symptômes relatifs au poids corporel dans le cadre de la maladie de Huntington.
Un éclair d'hypothèse
Une des conclusions les plus intrigantes de cette étude est que les déficits de sommeil surviennent en même temps que les premiers déficits de jugement, de mémoire et d’autres capacités cognitives au cours de la MH pré-symptomatique.
Cette conclusion est intrigante car nous savons que l’insuffisance de sommeil fait des ravages dans le cerveau. Par exemple, la privation modérée de sommeil causée seulement par 17 heures d’éveil affecte la performance autant qu’un taux d’alcool de 0,05% dans le sang et plusieurs grandes catastrophes historiques (ex, l'Exxon Valdez en 1989 par le déversement de pétrole au large de l'Alaska, le désastre de la navette spatiale Challenger et l'accident nucléaire de Tchernobyl) ont été attribuées en partie à des erreurs cognitives humaines causées par le manque de sommeil. Ainsi, il est raisonnable de supposer que les premiers changements dans le sommeil pourraient directement contribuer à des changements cognitifs lors des premiers stades de la maladie de Huntington.
Bien qu’un lien entre les problèmes cognitifs et le manque de sommeil soit une idée intéressante, il faut être prudent avant de supposer que ceci soit vrai. Pour comprendre le pourquoi, considérons l’analogie suivante. Imaginez que vous étudiez la criminalité dans la ville de New York et découvrez un lien entre la petite délinquance et les ventes de crème glacée : à chaque fois que les ventes de crème glacée sont en plein essor, la petite délinquance augmente ; à chaque fois que les ventes de crème glacée baissent soudainement, la petite délinquance diminue.
Compte tenu de la relation évidente entre ces deux évènements, prétendriez-vous que les ventes de crème glacée sont à l’origine de la criminalité ? Probablement non. Au lieu de cela, vous en tireriez une conclusion beaucoup plus raisonnable selon laquelle un autre facteur interviendrait (par exemple, la température : pendant l’été, la hausse des températures pourrait entraîner une augmentation des ventes de crème glacée et de la criminalité ; pendant l’hiver, il fait trop froid pour les deux).
Nous utilisons exactement le même raisonnement lorsque nous nous interrogeons sur la relation entre le sommeil et les déficits cognitifs dans le cadre de la maladie de Huntington. Même si ces symptômes surviennent en même temps et se suivent les uns avec les autres, nous ne disposons pas encore suffisamment d’informations pour savoir si un symptôme provoque l’autre ou si les deux sont le résultat d’autres facteurs de la maladie. Démêler ces possibilités est un important sujet qui nécessitera davantage de recherche.
Le grand angle
Nous pensons qu’il s’agit d’une étude sérieuse, montrant que les déficits de sommeil précèdent les problèmes moteurs qui se manifestent dans le cadre de la maladie de Huntington (mais pas les déficits du métabolisme), et nous sommes impatients de voir ces travaux appliqués pour le développement de biomarqueurs et pour la compréhension des premiers changements dans le cerveau. Par ailleurs, nous avons été intrigués par la possibilité d’un lien mécaniste entre le sommeil et la cognition, et nous attendons davantage de travail à cette fin.
Dans l’ensemble, cette étude est également un très bon rappel de la complexité de la maladie de Huntington. L’élargissement de notre objectif pour à la fois comprendre cette complexité et identifier la survenance des symptômes, et comment ceux-ci interagissent, est important pour mettre l’accent sur la maladie et des traitements efficaces. Enfin, en attendant des thérapies efficaces pour la maladie de Huntington, nous disposons de très bons médicaments utiles pour le sommeil et nous encourageons les patients MH à en parler avec leur médecin !