Un pas en avant pour la modification des gènes : CRISPR-Cas9 et MH
Techniques CRISPR-Cas9 peuvent être utilisées pour modifier le gène MH dans un cerveau de souris vivante
Par Dr Leora Fox 28 août 2017 Edité par Dr Jeff Carroll Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 26 juillet 2017
CRISPR-Cas9 est une technique expérimentale d’ingénierie ciblée des gènes utilisée pour réaliser des modifications précises de l’ADN. Pour la première fois, des scientifiques ont utilisé cette approche pour attaquer la mutation MH dans les cellules cérébrales d’une souris. D’autres chercheurs affinent la technique CRISPR-Cas9 pour être plus efficaces, plus précis et plus sûrs. Cette technique est encore loin d'être utilisée chez les patients MH, mais son application chez la souris est une étape passionnante.
L’ingénierie ciblée des gènes avec la technique CRISPR-Cas9
L’ADN est le code indispensable qui dirige la croissance et les fonctions des cellules vivantes. Notre capacité à manipuler ce code, jadis un truc de science fiction, a débuté aux fins de mener des recherches sur des troubles héréditaires, tels que la maladie de Huntington. La conception et l’utilisation d’outils pour modifier l’ADN sont connues sous le nom de techniques de modification du génome et un outil qui a reçu une attention récente s’appelle CRISPR-Cas9. Depuis sa mise en place, les scientifiques MH ont exploré la possibilité d’utiliser une telle technique pour éliminer la mutation génétique responsable de la MH.
Cette technique expérimentale n’est pas prête pour être testée chez les êtres humains mais elle est passée rapidement des tubes à essai aux cellules vivantes et aux organismes. Des travaux récents réalisés par plusieurs équipes de chercheurs ont montré que la technique CRISPR-Cas9 peut être utilisée pour modifier le gène MH dans le cerveau d’une souris vivante. Encore plus passionnant, des résultats plus récents d’un laboratoire montrent une amélioration du comportement de la souris MH après l’application de la technique CRISPR-Cas9 dans le cerveau. Cette technique d’ingénierie ciblée des gènes continue à devenir plus sophistiquée, et plusieurs équipes de recherche MH l’adaptent aux défis de la thérapie MH. Parlons de la manière dont fonctionne CRISPR-Cas9, son application dans le cadre de la MH et pourquoi la sécurité est, à ce stade, une préoccupation.
Le gène MH : préparation de l’histoire
La maladie de Huntington est causée par un ajout indésirable au code génétique. Des milliards de blocs de construction biologiques, les nucléotides C, G, A et T, se trouvent dans le code complet de l'ADN. Ces nucléotides sont lus et interprétés en segments – parties du gène connues sous le nom d’exons. Vous pouvez imaginez le nucléotide comme étant une lettre, trois nucléotides comme étant un mot, un exon comme étant une phrase, le gène comme étant un paragraphe, et le génome complet comme étant un manuel d’instructions décrivant toutes les pièces nécessaires à la croissance et aux fonctions des cellules.
Zoomons sur un paragraphe de l’histoire, le gène responsable de la MH. Chez les personnes destinées à développer la MH, la première phrase contient une erreur : une série de lettres C-A-G qui se répète encore et encore … plusieurs fois, plus que nécessaire. Que se passerait-il si nous pouvions corriger l’erreur de répétition CAG en supprimant toutes ces répétitions « encore et encore » de la phrase précédente ? Il s’agit là de l’accent principal de la recherche sur la modification du gène dans le cadre de la MH, et CRISPR-Cas9 est l’une des nombreuses approches.
CRISPR-Cas9 : faire la coupe
Il n’existe pas d’équivalent au logiciel de traitement de textes pour modifier des gènes. Pour réparer des gènes à l’échelle microscopique, une cellule à la fois, le code défectueux doit être localisé et coupé physiquement – et c’est ce que fait CRISPR-Cas9. Cette coupe nécessite deux composants : (1) un ARN guide et (2) une enzyme appelée Cas9. Voici une simple analogie : imaginez que vous voulez couper un morceau de ruban mais votre ami a les ciseaux. Vous pouvez tenir le ruban à deux mains, le tendre fermement pour montrer à votre ami où couper exactement. C’est CRISPR-Cas9, à l’échelle microscopique : l’ARN guide trouve et présente le bon endroit sur l’ADN, et l’enzyme Cas9 agit comme des ciseaux, coupant en fait l’ADN.
Les scientifiques peuvent concevoir, en laboratoire, des ARNs guides spécifiques qui montrent où Cas9 doit couper deux fois, des deux côtés de la longue chaîne supplémentaire de répétitions CAG dans le gène MH. Les nouvelles extrémités peuvent ensuite être corrigées, en supprimant définitivement la partie défectueuse. C'est ainsi que les scientifiques utilisent CRISPR-Cas9 pour modifier des séquences génétiques.
Comme avec toute nouvelle technologie excitante, les chercheurs ont joué avec le système CRISPR-Cas9 pour découvrir de nouvelles manières d’utiliser cet outil. Au début, ils ont réalisé qu’ils pouvaient utiliser CRISPR-Cas9 pour effectuer, assez facilement, des coupes simples dans un gène spécifique. Les cellules de processus de réparation utilisées pour corriger ces coupes sont sujettes aux erreurs et entraînent généralement la perte de petites pièces d’informations génétiques.
A titre d’analogie, imaginez que vous rédigiez un texto pour un ami lors d’un dîner disant : “s’il te plaît passe le beurre”. Si vous avez par inadvertance oublié quelques lettres, par exemple “i” et “e” mais gardez la structure du message, votre ami recevrait : “s’l t plat pass l burr”. Lorsque les messages génétiques se brouillent du fait de petites suppressions comme celles-ci, les cellules possèdent des mécanismes pour reconnaître les erreurs et ignorer leur contenu. Ce qui donne aux chercheurs une manière d’utiliser CRISPR-Cas9 pour supprimer efficacement un gène, plutôt que de modifier la séquence d’une manière plus spécifique.
CRISPR-Cas9 dans un cerveau de souris MH
Quelques groupes de recherche viennent de découvrir qu’il est possible de modifier le gène MH dans le cerveau d’une souris vivante. Plus récemment, une équipe dirigée par Xiao-Jiang Li, travaillant à l’Université d’Emory aux USA, a constaté que la réalisation de petites coupes dans le gène MH pourrait avoir des effets bénéfiques chez les souris MH. Les chercheurs ont utilisé, pour réaliser ces expériences, la technique CRISPR-Cas9 en mode “suppression” plutôt qu’en mode “modification” du gène MH afin de supprimer le long CAG avec le court.
Pour utiliser CRISPR-Cas9 chez une souris MH, l’ARN guide et les “ciseaux” Cas9 ont été transportés par des virus spécialement conçus, lesquels doivent être injectés dans le cerveau. L’équipe de Li a appliqué cette technique pour le striatum, une zone du cerveau contrôlant l’humeur et les mouvements qui se détériorent au cours de la MH. Quelques semaines plus tard, les composants de CRISPR-Cas9 se sont propagés à de nombreuses cellules, désactivant le gène MH dysfonctionnel, et les signes de stress sur les neurones ont diminués.
Trois mois après, il y avait moins d’amas nuisibles de protéines huntingtine accumulés dans les cellules cérébrales et les souris MH s’étaient quelque peu améliorées lors des tests de motricité. L’aspect le plus passionnant de cette expérience était la récupération des souris plus vieilles qui avaient déjà développé des symptômes. Même les souris de neuf mois (environ l’âge moyen) se sont améliorées après avoir reçu les injections, ce qui suggère que leur cerveau pourrait récupérer partiellement après une demi-vie de lésions.
Procéder avec prudence
La plupart des personnes atteintes de la MH possèdent une seule copie du gène mutant et une autre copie parfaitement saine. Il est préoccupant d’utiliser la technique CRISPR-Cas9 en tant que thérapie car bien qu’elle puisse supprimer la partie endommagée du gène MH, elle pourrait également éliminer de manière permanente une partie de la copie saine. Le laboratoire de Li a également réalisé quelques expériences pour aborder indirectement cette question en travaillant sur des souris possédant deux copies défectueuses du gène MH et en utilisant la technique CRISPR-Cas9 pour les supprimer. Il n’y avait aucun danger immédiat pour les souris, bien qu’elles n’aient été surveillées que pendant quelques semaines.
«L’aspect le plus passionnant de cette expérience était la récupération des souris plus vieilles qui avaient déjà développé des symptômes »
L’innocuité de l’interférence avec la copie normale du gène MH est importante, compte tenu de l’essai clinique actuel sur un médicament ASO (diminution de la huntingtine). Ce médicament diminue les taux des deux copies du gène MH (mutante et saine). Certaines recherches sur les souris ont suggéré que cela est inoffensif dans le temps mais il est difficile d’en être sûr car la durée de vie d’une souris est beaucoup plus courte que celle d’un être humain. Les compagnies qui réalisent l’étude ASO – Roche et Ionis – sont bien conscientes de ces risques et surveillent attentivement les sujets de l’étude pour détecter tout problème causé par la diminution du gène MH.
Il existe d’autres différences principales entre les médicaments ASO et l’approche CRISPR-Cas9. L’essai ASO actuel chez l’homme est une thérapie de diminution de la huntingtine, ou de silençage génique, qui permet de désactiver les deux copies du gène pendant de courtes périodes. Si le traitement est interrompu, le gène récupèrera sa fonction. A l’inverse, l’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 créé une modification permanente de l’ADN et doit donc être abordée avec encore plus de prudence. Il est prouvé que le gène MH, endommagé ou non, possède des fonctions importantes dans la cellule, et nous ne voulons pas prendre le risque d’avoir des effets secondaires permanents. La bonne nouvelle est que les scientifiques MH ont relevé le défi en évitant la copie saine du gène par une approche connue sous le nom d’approche allèle-spécifique.
Améliorer les techniques de modification des gènes
Deux groupes de recherche ont récemment amélioré la technique CRISPR-Cas9 en l’utilisant pour couper et inactiver uniquement la copie endommagée du gène. Une équipe dirigée par Jong-Min Lee du Massachusetts General Hospital a réalisé une suppression allèle-spécifique en utilisant des ARNs guides judicieusement conçus. Les guides ont cherché des petites incohérences dans les lettres ADN proches de la mutation MH et ont guidé deux coupes Cas9. L’approche de cette équipe est nouvelle car la modification des gènes pourrait être “personnalisée” selon l’ADN d’un individu.
Le second groupe, dirigé par Beverly Davidson de l’Hôpital pour enfants de Philadelphie, a utilisé une approche similaire pour cibler uniquement le gène mutant, en réalisant des couples plus petites avec Cas9. Cela a interrompu la production de plusieurs protéines huntingtine nuisibles. Ils pourraient également, comme le groupe de Li, inactiver le gène MH dans le cerveau d’une souris vivante. La question de savoir si la technique CRISPR-Cas9 mise à jour améliorera le comportement d’une souris MH reste à voir, mais ces deux innovations sont une étape vers des thérapies géniques futures.
Défis de la modification des gènes
Nous sommes enthousiastes quant à l’usage de techniques de modification des gènes pour une meilleure compréhension de la MH. L’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 chez une souris vivante et le développement des approches allèle-spécifique constituent des étapes significatives mais il existe plusieurs obstacles à surmonter avant que la technique CRISPR-Cas9 puisse être développée en tant que traitement MH. Voici les principaux défis auxquels les chercheurs sont confrontés et notre état actuel des connaissances :
1- Précision : s’assurer que Cas9 coupe uniquement le gène pour lequel il a été conçu et ne nuit pas au hasard ailleurs. Les scientifiques semblent être sur la bonne voie pour garantir que CRISPR est très spécifique.
2- Allèle-spécifique : veiller à ce que seule la copie mutante du gène MH, et non la copie saine, soit supprimée. La recherche décrite dans le présent article est une avancée passionnante.
3- Délivrance : réussir à ce que le mécanisme CRISPR-Cas9 puisse pénétrer dans de nombreux neurones dans le cerveau et supprimer le gène MH de chacun. Nous savons maintenant que cela est possible chez une souris, mais cela reste un obstacle majeur pour toute thérapie utilisée pour traiter le cerveau humain.
4- Innocuité à court terme : s’assurer que la suppression d’une partie du gène MH n’entraîne pas de problèmes neurologiques ou même de décès. Jusqu’à présent, cela semble être le cas.
5- Innocuité à long terme : s’assurer que la modification du gène MH pourra être sans danger pendant une longue période de temps. Il s’agit d’une question très difficile à explorer chez les souris. Nous pourrions trouver des réponses lors d’expériences chez des primates, ou à partir de techniques moins permanentes lors d’essais cliniques.
L’essai ASO (diminution de la huntingtine) en est toujours au premier stade s’agissant de l’innocuité, mais l'approche s'est révélée prometteuse jusqu'à présent. La modification des gènes pourrait introduire des changements durables à ce qui est écrit dans le code ADN, avec de profondes conséquences. L’utilisation en toute sécurité de la technique CRISPR-Cas9 devient exponentiellement plus difficile car celle-ci se rapproche de la clinique. Néanmoins, la prochaine génération de cette technologie présente une promesse incroyable et de nombreux esprits la font progresser de manière innovante.