Par Joseph Ochaba Edité par Professor Ed Wild Traduit par Julie-Anne Rodier

Vous ressemblez plus à une souris que ce que vous pouvez penser ! De nos jours, les scientifiques peuvent étudier la maladie de Huntington en utilisant des souris, des mouches, des moutons et autres animaux en guise de modèles. Mais comment ces modèles nous aident-ils à comprendre la MH et comment la traiter ? Et quels sont les pièges à éviter lorsque l'on s'appuie sur des modèles animaux ?

Qu'est-ce que les “moustaches” et les queues peuvent nous apprendre sur la maladie de Huntington (MH)?

Une grande partie de ce qui est connu sur la MH peut être attribué aux résultats scientifiques qui proviennent d'expérimentations animales. Cependant, la création de modèles correspondant à des maladies humaines est une tâche délicate pour les scientifiques. Un “modèle animal” est ce que l'on appelle un animal qui a été génétiquement altéré afin d'inclure dans un de ses gènes, la mutation responsable des symptômes de la maladie humaine étudiée. Ces modèles ont conduit à d'importantes découvertes scientifiques et ont été extrêmement utiles pour observer les maladies humaines à plus petite échelle.

Plusieurs espèces animales (notamment des souris, des moutons, des cochons et des singes) ont été génétiquement modifiées pour ressembler aux patients de la maladie de Huntington. Les  cerveaux plus gros donnent des modèles plus précis, mais apportent leur lot de problèmes pratiques, financiers et éthiques.
Plusieurs espèces animales (notamment des souris, des moutons, des cochons et des singes) ont été génétiquement modifiées pour ressembler aux patients de la maladie de Huntington. Les cerveaux plus gros donnent des modèles plus précis, mais apportent leur lot de problèmes pratiques, financiers et éthiques.

Il y a de nombreuses choses que les modèles animaux peuvent nous révéler et qui seraient impossibles, ou prendraient trop de temps, si l'on se confinait à l'étude des humains. Toute expérimentation animale est régie par des règles très strictes qui assurent le respect des normes de bien-être et la minimisation de la souffrance des animaux.

Rien que la diversité des types d'animaux qui nous aident à étudier la MH pourrait vous surprendre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, beaucoup d'animaux sont vraiment similaires aux humains, dans le sens qu'ils ont les mêmes organes, qui exécutent les mêmes fonctions, de la même façon. Il est intéressant de noter que quasiment 90% des médicaments utilisés pour traiter les animaux sont les mêmes, ou bien sont très similaires à ceux développés pour soigner les humains. Un autre avantage des modèles animaux est qu'un grand nombre d'entre eux peut être étudié d'un coup. Les scientifiques ne peuvent pas effectuer des expériences sur un unique animal ou une unique personne, et il est plus prudent de tester les traitements sur un grand nombre d'animaux plutôt que sur un grand nombre d'humains.

Comment les animaux peuvent-il avoir la MH?

Malgré les similarités avec les humains, les animaux ne développent pas naturellement la maladie de Huntington. Les progrès en terme de génie génétique ont permis le développement de modèles animaux “transgéniques” à qui l'on insert un gène muté de la maladie dans leur ADN. Cela entraîne le développement d'une maladie ayant certains des caractères de la MH humaine.

Les gènes mutés sont insérés grâce aux techniques d'ADN recombinant, des techniques comparables à la construction d'un puzzle où les différentes pièces seraient en fait de l'ADN. On injecte la totalité du puzzle à ces animaux, il est alors inclus dans les cellules de l'organisme et les transforme en “usines” de production de protéines étrangères. Dans le cas de la MH, ces animaux deviennent des centrales de production du mutant huntingtin, la protéine spécifique de la maladie. Cela permet aux chercheurs d'avoir accès à un modèle de la MH qu'ils peuvent étudier.

En plus de pouvoir produire des animaux génétiquement altérés, les scientifiques peuvent étudier certains des traits de la MH chez les animaux en provoquant des préjudices biologiques artificiels à l'aide de toxines qu'ils peuvent leur injecter; ou encore effectuer des opérations chirurgicales afin d'endommager des régions particulières du cerveau (telles que le striatum) qui sont affectées dans le cas de la MH, afin de provoquer les déficiences motrices observées chez les patients. Cela permet aux chercheurs de comprendre ce qu'il se passe durant les stades précoces de la maladie, quand certaines régions du cerveau commencent à diminuer. Mais cette technique reste une façon bien moins précise de modéliser la maladie que la manipulation génétique.

N'oubliez pas le petit bonhomme

Tous les modèles scientifiques ne sont pas à poils. Pour étudier la MH, nous pouvons commencer au plus petit niveau, pensez microscopique ! Les modèles cellulaires tels que les levures, ainsi que les animaux moins complexes comme les mouches des fruits, fournissent en peu de temps, des informations puissantes aux scientifiques pour la compréhension de ce qui cause la MH. Les mouches, par exemple, partagent au moins 50% de leur ADN avec les humains et ont un cerveau complètement fonctionnel, configuré pour la vue, l'odorat, l'apprentissage et la mémoire.

Ces modèles plus simples permettent de tester plus rapidement des théories et des substances chimiques dans les premiers stades de recherche. Cependant, ils ne disent pas toute l'histoire. Pour cela, nous avons besoin de grimper l'échelle de notre règne animal.

«Les souris “atteintes de la maladie de Huntington” n'existent pas. Cependant, il se peut que l'on vous décrive parfois ces animaux-là. »

La majorité des recherches médicales ont eu recours aux souris pour plusieurs raisons, et notamment leur disponibilité, leur faible coût d'utilisation, et parce qu'elles sont relativement faciles à altérer génétiquement. Nous partageons de multiples gènes avec nos petits amis à fourrure : environ 99% des gènes humains ont un équivalent murin.

Un des tout premiers modèles murins développé pour la MH fut appelé le modèle R6/2. Ce modèle exprime une petite portion du gène de la MH et développe les symptômes dès la première semaine après la naissance, avant de succomber à la maladie au bout de 4 à 5 mois. Comparez cela aux 2 ans d'espérance de vie d'une souris normale ! Bien que cela fasse avancer la recherche plus rapidement, la souris est bien différente de la plupart des patients atteints de la MH chez qui la maladie commence typiquement tard dans la vie.

Un autre type de modèle de souris a été développé dans le but d'être un peu plus proche de la maladie humaine. Ces modèles sont appelés les souris knock-in. Dans ce cas là, les scientifiques peuvent remplacer (“knock in”, en anglais) des régions spécifiques du gène de la MH par des copies du gène humain. Dans le cas de la MH, ce qui est introduit, c'est le morceau d'ADN exceptionnellement long qui contient uniquement des “répétitions de CAG” et qui est responsable de la MH chez les humains.

Ces souris knock-in développent des symptômes moins sévères et qui progressent plutôt doucement, mais leur plus grande ressemblance génétique avec les patients humains de la MH font d'elles un outil de grande valeur pour comprendre les événements précoces déclenchés par la mutation.

Les autres modèles de rongeurs comportent les souris YAC et BAC qui ont un morceau supplémentaire d'ADN qui ordonne à leurs cellules de fabriquer la protéine huntingtin humaine en entier. Et dorénavant, nous avons aussi les rats en tant que modèles de la MH. Chaque modèle apporte des informations supplémentaires, à condition que l'on garde en tête les bizarreries et excentricités de chaque espèce, ainsi que les manipulations génétiques particulières qui ont été effectuées.

Connaître ses limites

Malgré leur utilité pour les tests d’efficacité des substances pharmaceutiques, il y a de nombreuses différences entre les animaux et les humains ; ce qui peut compliquer les choses pour les scientifiques. Par exemple, bien qu'il y ait un rétrécissement significatif du cerveau observé chez les souris atteintes de la MH, leur cerveau est clairement affecté de façon différente de celui des patients humains. Les cerveaux de souris montrent peu de preuves de la mort de neurones, et celle-ci a toujours lieu lors des stades avancés de la maladie. C'est en opposition avec la MH des humains chez qui un nombre important de neurones de régions clés meurent avant même que les symptômes commencent.

Un autre problème est que ces modèles de petite taille ne présentent pas tout à fait les mêmes symptômes que ceux des humains. Par exemple, chez les humains, la maladie de Huntington se présente sous la forme de mouvements involontaires appelés la “chorée” parce qu'ils font penser à une danse; alors que les modèles animaux n'ont pas ce symptôme. Les scientifiques doivent imaginer des moyens astucieux pour mesurer les problèmes moteurs chez les animaux, comme par exemple tester l'habilité des animaux à courir sur une barre rotative, un peu comme un bûcheron essaierait de rester debout sur un tronc qui tourne. Les souris ayant la mutation de la MH tombent plus rapidement que les autres, ce qui indique qu'elles ont des problèmes moteurs, même si ceux-ci ne se manifestent pas sous la forme de chorée. Les chercheurs utilisent ces types de tests et de casse-têtes pour observer le comportement de ces animaux, et estimer leurs aptitudes.

Ces différences prouvent quelque chose de très important, et qui pourtant est souvent négligé : les souris “atteintes de la maladie de Huntington” n'existent pas. Cependant, il se peut que l'on vous décrive parfois ces animaux-là. Certains modèles sont plus précis que d'autres, mais aucun n'est parfait. En fait, le seul modèle “parfait”, c'est un être humain ayant la mutation de la MH.

La plupart des modèles animaux de la maladie de Huntington ne développent pas les mouvements involontaires que l'on observe chez les patients humains. Les tests tels que cette barre rotative, appelée le "Rotarod", sont un des moyens utilisés pour mesurer les problèmes moteurs chez les rongeurs.
La plupart des modèles animaux de la maladie de Huntington ne développent pas les mouvements involontaires que l'on observe chez les patients humains. Les tests tels que cette barre rotative, appelée le “Rotarod”, sont un des moyens utilisés pour mesurer les problèmes moteurs chez les rongeurs.

À cause de ces imperfections des modèles animaux, il n'est pas surprenant que la plupart des médicaments qui fonctionnent sur les souris ne fonctionnent pas lorsque l'on les teste sur les humains. Il est relativement facile d'injecter différentes substances dans le cerveau de petits animaux modèles comme les souris. C'est souvent une des raisons pour lesquelles les familles atteintes par la MH entendent parler de nombreux traitements prometteurs, mais qui s'avèrent ne jamais marcher chez les humains. Quand des traitements contre la MH marchent bien sur des souris de laboratoire, il peut s'avérer problématique de les appliquer chez les humains. En effet, le cerveau étant plus grand, il est plus difficile de faire parvenir les substances chimiques jusqu'à celui-ci.

Compte tenu des ces problèmes relatifs aux modèles murins, que peuvent faire les scientifiques? Une des possibilités pour prédire ce qui fonctionnera chez l'humain est de se tourner vers des plus grands modèles tels que les moutons, les cochons et les singes qui, eux, copient mieux la MH humaine.

Pourquoi les moutons ?

Les moutons ont un cerveau plus grand et sont étonnamment intelligents ! Des scientifiques en Australie, Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne ont développé un mouton “modèle” génétiquement modifié dans l'espoir d'étudier comment la maladie de Huntington affecte les humains et comment traiter un cerveau de plus grande taille. La structure cérébrale et les comportements du mouton sont remarquablement similaires à ceux des humains. Par exemple, ils ont des expressions, reconnaissent des visages et ont une mémoire à long terme. Cela a permis à des chercheurs de développer des tests cognitifs semblables à ceux donnés aux humains dans le but d'étudier la progression de la maladie. L'inconvénient est que la recherche sur les moutons est beaucoup plus lente que celles sur les souris : les premier modèles ovins sont nés en 2007 et en 2012, ils ne présentent encore aucun signe évident de la MH !

Qui a apporté le zoo ?

L'utilisation de primates en tant que modèles pour la MH, comme par exemple le macaque Rhésus, posent de tels problèmes; en partie parce qu'ils sont génétiquement et physiquement très proches des humains. Les singes ont un cerveau vraiment similaire à celui des humains, ce qui en fait des modèles extrêmement utiles mais qui, en contrepartie, augmentent le coût de la recherche et apportent leur lot de problèmes éthiques. Il se trouve qu'ils présentent certains des traits caractéristiques de la MH humaine : le rétrécissement du cerveau, et des déficiences motrices similaires à celles observées chez les patients humains.

De la cage au chevet

Nous espérons que ce panorama vous aide à comprendre comment et pourquoi les modèles animaux peuvent nous aider à comprendre la maladie de Huntington et à développer des traitements. Les chercheurs pensent que ces modèles sont une étape cruciale sur le chemin qui mène à la création de traitements efficaces destinés aux humains. Aucun n'est parfait, mais en construisant une représentation à partir de toutes les informations rassemblées à travers les modèles de la maladie de Huntington, nous pouvons arriver à comprendre quelles découvertes et quelles substances pharmaceutiques pourraient être les meilleures à expérimenter sur le plus important de tous les modèles animaux : l'être humain.

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