Jeff CarrollPar Dr Jeff Carroll Edité par Professor Ed Wild Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski

Ces derniers jours ont vu une multitude de nouveaux articles portant sur une nouvelle technologie, appelée CRISPR, décrite comme étant susceptible d'être utilisée dans le cadre de la maladie de Huntington. Cette nouvelle technique est-elle aussi bien qu’elle y paraît ? Peut-être – mais, comme toujours, la réalité est plus compliquée que ne le laissent suggérer les grands titres.

Le gène MH, et le réduire au silence

La maladie de Huntington est une maladie génétique, ce qui signifie que chaque patient MH a hérité d'une copie ‘mutante’ d’un gène particulier d’un de ses parents. Nous appelons désormais le gène dans lequel cette mutation se produit le ‘gène MH’.

CRISPR est une nouvelle méthode précise de "correction" de l'ADN. Ceci, d'autre part, est une photo d'un bac à salade.
CRISPR est une nouvelle méthode précise de “correction” de l'ADN. Ceci, d'autre part, est une photo d'un bac à salade.

Tout le monde possède deux copies de ce gène MH, et la plupart des personnes ne développent pas la maladie de Huntington. C’est seulement lorsqu’une modification spécifique survient dans la séquence ADN du gène MH qu’une personne développe les symptômes de la maladie de Huntington. La mutation spécifique, responsable de tous les cas de MH, est une expansion de trois lettres du code ADN, une séquence répétitive des lettres génétiques C-A-G à proximité d'une extrémité du gène MH.

Généralement, les gènes sont utilisés par les cellules comme une sorte de recette qui leur indique la façon de fabriquer une protéine. C’est ce qui se produit avec le gène MH ; nous possédons donc une protéine MH (huntingtine), considérée en fait par les scientifiques comme étant responsable du dysfonctionnement et de la mort cellulaire dans le cadre de la maladie de Huntington.

Les scientifiques MH et les familles sont enthousiasmés par une approche thérapeutique appelée le silençage génique. Celle-ci repose sur le fait que les cellules ne copient pas directement l’ADN en protéine mais plutôt en une sorte de brouillon réalisé à partir d’un produit chimique appelé ARN. Les approches de silençage génique visent cet ARN messager - le découpent en morceaux, stoppant ainsi la production de la protéine MH par la cellule.

Cela semble bien, non ? Il s’agit d’une bonne idée, et HDBuzz est aussi enthousiaste que quiconque s’agissant des approches de silençage génique, lesquelles sont rapidement envisagées pour des essais cliniques. Mais des lecteurs attentifs pourraient avoir remarqué quelque chose. Même si le silençage génique fonctionne, il ne modifie pas l’ADN, ce qui signifie que toutes les cellules d’une personne porteuse de la mutation MH ont encore le gène MH mutant – seule la production de la protéine mutante est stoppée.

Silençage contre correction

Et si nous pouvions réellement modifier l’ADN des patients MH, et supprimer totalement la mutation ? Jusqu’à tout récemment, cette hypothèse paraissait être une idée farfelue. Les scientifiques ont tendance à penser que la bibliothèque de gènes, ou ‘génome’, d’une personne est fixée dès sa conception jusqu’à son décès. Bien sûr, des mutations surviennent tout au long de la vie (c'est de cette façon que le cancer survient) mais celles-ci sont plus susceptibles d’être nocives que bénéfiques, et nos cellules possèdent un mécanisme puissant de réparation de l’ADN.

Très récemment, les scientifiques ont commencé à emprunter des astuces génétiques aux bactéries microscopiques. Ces bestioles sont constamment en guerre entre elles et ont développé des astuces de découpe de l'ADN efficaces, utilisées en tant qu’armes dans cette guerre bactérienne. Les scientifiques ont découvert qu’ils pouvaient ‘emprunter’ ces armes bactériennes pour couper, en laboratoire, des séquences d’ADN choisies.

Ces outils ont désormais des éventails de noms effarants, incluant ‘les nucléases à doigts de zinc (ZFN’s)’, ‘les nucléases effectrices de type activateur de transcription (TALENS)’ et ‘les courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées (CRISPR)’. L’essentiel est qu’ils peuvent tous être utilisés pour couper l’ADN au niveau d’une séquence cible spécifique.

Des outils comme TALENs et CRISPR permettent principalement aux scientifiques de corriger l’ADN, en supprimant des parties indésirables et en insérant des parties souhaitées, tout comme l’utilisation d’un traitement de texte pour corriger un paragraphe. Bien que les scientifiques ont, depuis longtemps, été en mesure de ‘coller’ un ADN dans un brin cassé, ils ne disposaient pas d’outils pour ‘couper’ l'ADN là où ils le souhaitaient. Maintenant, ils les ont.

La chose évidente à faire, au moins dans le cadre de la maladie de Huntington, est de supprimer certaines copies supplémentaires de la répétition C-A-G, responsables de la maladie. L’autre possibilité est d’utiliser les outils de correction pour couper une partie du gène MH mutant, le déchirant ainsi en un charabia qui ne sera jamais transformé en une protéine.

«La contrainte la plus importante à l'utilisation de CRISPR et d'autres approches de correction du génome est “l'administration, l'administration, l'administration”. »

La technologie de correction de l’ADN la plus récente, et actuellement la plus évoquée, est appelée CRISPR. En utilisant l’approche CRISPR, les scientifiques peuvent réaliser un découpage complexe n’importe où dans l’ADN d’une personne et réaliser une incision très précise.

Si cette technique semble être familière, c’est parce qu’il s’agit d’une approche très similaire à celle des nucléases à doigts de zinc (ZFNs), évoquée sur HDBuzz. La différence entre les CRISPRs et les ZFNs est que le composant de ciblage des ZFNs est volumineux et fabriqué artificiellement en laboratoire alors que les CRISPRs sont dirigés avec plus de précision en utilisant de petits morceaux d’ADN, en espérant fournir un ciblage plus précis.

CRISPRs à la rescousse ?

La technique CRISPR a récemment défrayé la chronique car le journal Independent du Royaume-Uni a sollicité un article d'opinion (http://www.independent.co.uk/voices/comment/this-is-a-triumph-of-basic-science-with-huge-implications-![crispr](Un système pour éditer l\‘ADN de facon precise. 'CRISPR’)-technique-breaks-the-mould-8925323.html) du Dr Craig Mello, généticien ayant reçu un prix Nobel, lequel a commencé à utiliser cette technique dans son laboratoire. Les scientifiques ont étudié CRISPR depuis au moins 2007. Ce qui a changé au cours des deux dernières années, c’est que CRISPR est devenu un outil de plus en plus sophistiqué pour la manipulation des gènes en laboratoire.

Il existe plusieurs utilisations possibles de cette technique CRISPR, ou de ‘l’approche de correction du génome’. Tout d’abord, il est possible d’imaginer un traitement des embryons à un stade très précoce, même des ovules fécondés cultivés dans une boîte de pétri dans un centre de fertilité. Avec ce type d’approche, il est techniquement possible de produire des bébés n’ayant pas le gène MH mutant, et par conséquence ne développant pas dans l’avenir la maladie de Huntington.

Bien que cette éventualité soit très intéressante, il est déjà possible d’utiliser des techniques plus simples comme le diagnostic génétique préimplantatoire qui repose sur un simple dépistage génétique aux fins d’identifier les embryons porteurs de la mutation MH. La technique de correction du génome irait plus loin et corrigerait effectivement le défaut plutôt que de simplement le dépister.

Une autre utilisation éventuellement intéressante de cette technique serait de traiter les cerveaux des porteurs adultes de la mutation MH avec quelque chose comme CRISPR, ciblant le gène MH mutant pour le corriger. Cette utilisation est celle qui a causé tant de spéculation dans la presse - pourrait-on utiliser ces nouveaux outils de correction du génome pour corriger le véritable défaut responsable de maladies génétiques, telles que la maladie de Huntington ?

Qu’est-ce qu’il se passe déjà ?

En fait, ainsi que nous l’avons évoqué en 2012, des essais portant sur la correction du génome dans le cadre de la maladie de Huntington sont déjà bien avancés ! La compagnie Sangamo Biosciences collabore avec la Fondation CHDI aux fins de développer des nucléases à doigts de zinc en tant que thérapies pour la maladie de Huntington. Elles ont déjà mis au point des ZFNs qui se lient spécifiquement à l’expansion du triplet C-A-G dans le gène MH et la coupent, ayant pour résultat l’interruption de l’expression du gène MH.

Cette semaine, lors du meeting de la Society for Neuroscience à San Diego (Californie), la compagnie Sangamo a présenté ces derniers résultats au sujet des ZFNs ciblant le gène MH. Les efforts actuels de celle-ci se concentrent sur le silençage du gène plutôt que sur sa modification directe. Pour la première fois, ils ont décrit des travaux suggérant que leurs ZFNs étaient bénéfiques chez un modèle murin MH. Leur communiqué de presse précise que “les scientifiques ont observé une diminution des agrégats de la protéine huntingtine dans des régions cérébrales d'animaux traitées par ZFNs”. Ils indiquent que les souris traitées de cette manière ont présenté des améliorations des signes comportementaux de la maladie.

La technique des "nucléases à doigts de zing", technique de correction du génome similaire à celle très récente de CRISPR, est déjà à l'étude dans le cadre de la maladie de Huntington.
La technique des “nucléases à doigts de zing”, technique de correction du génome similaire à celle très récente de CRISPR, est déjà à l'étude dans le cadre de la maladie de Huntington.

Quel est l’espoir ? Quel est l’abattage médiatique ?

Les techniques de correction du génome, comme CRISPR et les ZFNs, sont parmi les avancées de laboratoire les plus intéressantes de ces dernières années. Leur utilisation potentielle tant en laboratoire qu’en clinique est susceptible d’être énorme, mais nous devons prendre en considération les contraintes à leur utilisation dans le cadre de la maladie de Huntington.

La contrainte la plus importante à l’utilisation de CRISPR et d'autres approches de correction du génome est l'administration, l'administration, l'administration. Dans la mesure où ces thérapies sont basées sur de grosses molécules protéiques, il ne s’agit pas d’un type de médicament que nous pouvons prendre sous forme de pilule : les médicaments doivent être administrés dans le cerveau sous forme d’injections, empaquetés dans des virus ou selon une technique similaire.

Par exemple, rappelez-vous du communiqué de presse de la compagnie Sangamo au sujet des ZFNs chez des modèles murins MH, celle-ci a pris soin de préciser qu’il y avait une amélioration des agrégats “dans des régions cérébrales d'animaux traitées par ZFNs”. Il peut s’agir d’une petite partie du cerveau de la souris, ce qui serait une très petite partie du cerveau humain, à moins que nous puissions considérablement améliorer la technique d'administration.

Ce type de thérapie, qui implique l’administration d’un gène dans des tissus de patients, est appelé thérapie génique. Dans le cadre de la maladie de Huntington, toute thérapie génique nécessite une chirurgie du cerveau afin d'y introduire le virus, lequel se répandra ensuite seulement dans une petite partie des tissus cérébraux (du moins en utilisant la technique existante).

Bien que cette technique CRISPR, très récente, puisse rendre les choses plus faciles et précises, elle ne résout pas le problème de l'administration du médicament.

Compte tenu de ces questions liées à son administration, un travail de longue haleine sera nécessaire afin que la thérapie génique puisse fonctionner pour les maladies neurodégénératives. Dans le cadre de la maladie de Huntington, nous pourrions être obligés de délivrer le médicament à l’ensemble du cerveau afin d’intervenir sur tous les symptômes de la MH, et pas seulement le délivrer à certaines parties du cerveau. Cela va vraisemblablement être relativement facile chez la souris, dont le cerveau pèse moins d’un demi gramme mais beaucoup plus difficile chez l’humain, dont le cerveau pèse environ 1 300 grammes.

Pour les patients MH, ces nouvelles technologies demeurent des techniques de laboratoire intéressantes, et en valent la peine, mais tant que personne ne démontre qu’elles peuvent traiter suffisamment de cerveau pour faire la différence, celles-ci ne seront pas appliquées à l’humain. Cependant, la réparation des génomes des personnes atteintes de maladies génétiques pourrait bien devenir un traitement standard dans l'avenir, et il est très passionnant d’assister aux premiers pas sur ce long chemin.

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