Désactiver l’édition du génome lorsque vous avez terminé.
L’outil d’édition du génome, CRISPR, est doté maintenant d’un interrupteur.
Par Dr Michael Flower 23 novembre 2017 Edité par Professor Ed Wild Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 2 novembre 2017
L’édition du génome est, en ce moment, une frontière très discutée en science médicale avec ‘la chirurgie de l’ADN’ ayant le potentiel pour traiter ou guérir des maladies génétiques, telles que la maladie de Huntington. Dans cet article, nous examinons ce que cette technologie peut réaliser actuellement et abordons les défis qui se posent encore. Nous aborderons également la façon selon laquelle une équipe de scientifiques suisses a récemment développé un moyen de désactiver le mécanisme d’édition du génome après que celui-ci ait réalisé son travail.
Tout d’abord, quelques notions de base
Nous sommes tous constitués de cellules, et chaque cellule contient une copie complète de notre ADN. Notre ADN est le manuel d’instructions pour notre corps et est composé de quatre ‘lettres’ chimiques – A, T, G et C. Le manuel complet d’instructions est connu sous le nom de génome. Nos cellules lisent la séquence de lettres chimiques contenue dans l’ADN pour fabriquer des protéines, et l’ADN correspondant à une protéine s’appelle un gène.
Qu’est-ce l’édition du génome ?
La maladie de Huntington est causée par une mutation située dans le gène qui est une recette pour une protéine appelée huntingtine. Chez les personnes atteintes de la MH, la séquence CAG est répétée un trop grand nombre de fois au début du gène, ce qui amène les cellules à fabriquer une protéine nocive, la huntingtine mutante.
Ne serait-il pas génial si nous pouvions modifier ce peu d’ADN afin qu’il redevienne normal ? Cette idée n’est pas nouvelle, mais des outils ont été récemment développés, lesquels pourraient un jour permettre d’éditer l’ADN chez les personnes.
L’édition du génome utilise des protéines appelées nucléases, lesquelles sont des machines moléculaires qui coupent l’ADN. La technologie qui a récemment fait parler d’elle est CRISPR. Son histoire remonte au début des années 90 lorsque des chercheurs ont constaté des groupes étranges de répétitions de lettres ADN dans des bactéries. Ils les appelaient CRISPRs mais à l’époque, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Plus tard, en 2002, des scientifiques se sont aperçus qu’il existait des instructions ADN pour fabriquer une nucléase très proche de ces répétitions. Nous appelons ces nucléases ‘Cas’. Puis en 2005, une autre pièce du puzzle s’est mise en place lorsque des chercheurs ont découvert que les courtes séquences entre les répétitions ne provenaient pas des bactéries elles-mêmes mais étaient en fait de l’ADN viral ajouté au génome bactérien à la suite d’une infection.
Il apparaît que la combinaison de CRISPR et Cas (CRISPR/Cas) est en fait un système immunitaire bactérien, une arme utilisée contre les virus. Lorsqu’un virus infecte une cellule bactérienne, la bactérie prend un peu de son ADN et l’insère dans son propre génome entre les répétitions CRISPR. L’ensemble de la séquence (CRISPR, l’ADN viral et les nucléases) devient une arme qui peut reconnaître l’ADN du virus envahisseur, le hacher, prévenant ainsi l’infection.
Enfin, en 2012, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont montré qu’en modifiant la séquence ADN au milieu, il était possible de faire en sorte que Cas coupe l’ADN à n’importe quel endroit. Cette partie est comme le système de ciblage de la nucléase Cas – hey presto, nous avons un outil d’édition du génome sur mesure !
Transformer l’édition du génome en un traitement
Les cellules humaines ne possèdent pas de CRISPR ou de Cas ; en conséquence, pour éditer le génome humain, vous devez tout d’abord apprendre aux cellules la manière de fabriquer ces outils d’édition du génome. Pour ce faire, les scientifiques emballent la recette ADN pour CRISPR et Cas dans un virus inoffensif et infectent les cellules avec celui-ci. Le virus injecte l’ADN à l’intérieur des cellules, lesquelles fabriquent les outils d’édition CRISPR et Cas qui soignent ensuite l’ADN propre à la cellule en le coupant à l’endroit désiré.
Un grand défi consiste à s’assurer que Cas ne touche pas la mauvaise cible. S’il existe ailleurs une séquence ADN qui est très semblable, alors Cas pourrait également la couper ; ce qui signifie qu’au cours du processus de tentative de correction d’une mutation dans un gène, vous pourriez en introduire un autre ailleurs, et cela pourrait développer une toute nouvelle maladie.
«Le système d'édition du génome KamiCas9 désactive d'abord le gène huntingtin, puis environ quatre semaines plus tard, il s'interrompt automatiquement. »
L’édition du génome pour traiter des maladies
L’édition du génome possède le potentiel pour guérir de nombreuses maladies. La recherche est à un stade précoce, en particulier chez les êtres humains. Lors d’une étude récente, des chercheurs chinois ont utilisé CRISPR/Cas chez des embryons humains pour corriger une mutation causant la bêta-thalassémie (maladie génétique de l'hémoglobine). Les embryons n’ont pas été implantés mais ils ont démontré que le génome humain peut être modifié.
L’utilisation de l’édition du génome pour traiter la maladie de Huntington
Un essai passionnant de ‘diminution de la huntingtine’ est actuellement en cours, utilisant un médicament appelé oligonucléotide antisens (ASO) aux fins de réduire la quantité de protéines huntingtine dans les cellules cérébrales. Cette méthode est parfois appelée ‘silençage génique’ mais il ne s’agit pas d’édition du génome car le médicament n’altère pas l’ADN propre au cerveau.
L’édition du génome serait une avancée importante pour traiter la maladie de Huntington au niveau de l’ADN. Il existe plusieurs façons d’approcher cela. Idéalement, il pourrait être possible de réduire la longueur CAG en une longueur normale. Toutefois, bien que la technique CRISPR/Cas soit efficace pour modifier des lettres dans l’ADN, elle ne peut pas encore cibler spécifiquement le gène étendu et réduire le nombre de répétitions CAG. Une approche alternative consiste à introduire l’équivalent génétique d’un signe STOP au début du gène huntingtin, de sorte que sa protéine ne soit pas du tout fabriquée.
En théorie, l’édition du génome empêcherait définitivement et complètement la production de la protéine ; ce qui peut sembler génial mais c’est potentiellement une épée à double tranchant car une fois l’édition réalisée, celle-ci est irréversible, et en conséquence, si quelque chose ne va pas, cela pourrait avoir des effets à long terme.
Affiner la technique CRISPR/Cas dans le cadre de la maladie de Huntington
Une fois que l’ADN pour CRISPR et Cas a été inséré dans un génome, il reste là pour toujours ; ce qui signifie que les cellules vont continuer à fabriquer la nucléase Cas, même si celle-ci n’est nécessaire que pour effectuer un travail, celui de couper l’ADN de la cellule. Après, elle n’est plus nécessaire.
Tôt ou tard, il y a le risque que la nucléase Cas puisse couper l’ADN à un endroit où elle ne le devrait pas, introduisant une mutation qui pourrait causer une maladie. Rappelez-vous également que la Cas originelle provient des bactéries, ce qui signifie que le système immunitaire humain pourrait la considérer comme étant un étranger et tenter de l’attaquer, déclenchant une réaction immunitaire dangereuse.
Idéalement, nous voulons un traitement CRISPR/Cas qui ne fonctionne que brièvement, en éditant l’ADN d’une manière choisie, puis en le désactivant.
L’équipe de Nicole Déglon de l’Université de Lausanne en Suisse a développé une façon de le faire. Ils ont développé un moyen de désactiver Cas une fois qu’elle a fini d’éditer le gène huntingtin, réduisant ainsi les risques de déclencher une réaction immunitaire ou de couper à un endroit où elle ne le devrait pas.
L’idée géniale de l’équipe suisse était de concevoir une machine CRISPR/Cas qui cible le gène huntingtin, mais avec une séquence CRISPR supplémentaire qui fait également en sorte que la nucléase Cas cible son propre ADN. Lorsque celle-ci coupe son propre ADN, le système s’inactive lui-même.
Cette séquence CRISPR supplémentaire, que les chercheurs ont appelée ‘KamiCas9 (oui, le nom est un calembour plutôt douteux de ‘kamikaze’), est produite à un rythme plus lent que celle ciblant le gène huntingtin, et en conséquence, son effet est retardé. Ce qui signifie qu’elle désactive d’abord le gène huntingtin, puis environ quatre semaines plus tard le système d’édition du génome s’arrête. Les modifications apportées au gène Huntingtin pendant les quatre premières semaines resteront pour toujours, mais la désactivation éventuelle de la nucléase Cas réduit les risques d'effets nocifs ultérieurs.
Où l’édition du génome mène-t-il ?
L’édition du génome possède un énorme potentiel pour traiter un large éventail de maladies. Cependant, s’il n’est pas réalisé correctement, il pourrait également introduire des problèmes génétiques dans l’ADN humain qui auraient des effets incalculables pour les patients et les générations futures.
L’équipe de Déglon a réalisé une avancée importante en désactivant le matériel d’édition après qu’il ait effectué son travail. Cependant, appliquer le système d’édition des gènes dans le cerveau humain reste un grand défi, tout comme le risque qu’il puisse couper à un mauvais endroit avant de se désactiver.
L’édition du génome est une technologie passionnante qui pourrait, dans l’avenir, être un moyen pour prévenir la maladie de Huntington, ou même pour éliminer le risque pour les futures générations. Ce nouvel interrupteur est un exemple de scientifiques qui travaillent dur pour améliorer constamment les techniques. Le travail pour rendre l’édition du génome prêt pour aider les familles impactées par la maladie de Huntington continue !