Que signifie pour la maladie de Huntington 'l'importante percée portant sur la neurodégénérescence' ?
Les récentes découvertes chez des souris ayant reçu des 'prions' sont-elles importantes pour la MH ?
Par Eric Minikel 24 octobre 2013 Edité par Dr Jeff Carroll Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 15 octobre 2013
De nombreuses personnes de la communauté MH ont remarqué des communiqués mettant en évidence une étude récente de l'Université de Leicester, qui selon la BBC “pourrait traiter les maladies d'Alzheimer, de Parkinson, de Huntington, ainsi que d'autres maladies”. L'étude sous-jacente est une recherche, bien menée, d'une certaine importance. Cependant, le buzz médiatique est hors de proportion avec l'impact de cette recherche. Que montre en réalité cette étude et que signifie-t-elle pour la MH ?
Maladie à prions
Des médecins ont depuis longtemps remarqué que, lorsque des patients décèdent après avoir combattu la maladie de Huntington, leurs cerveaux s'étaient remplis de déchets qui ne devraient pas être là. C'est comme si les cellules du cerveau oubliaient de sortir les poubelles et les laissaient s'accumuler avant de mourir. Les scientifiques appellent ces amas de déchets des agrégats lorsqu'ils sont trouvés dans les cerveaux des patients MH.
Ces déchets dans le cerveau, avec différentes protéines, sont observés dans de nombreuses maladies ‘neurodégénératives’, y compris les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. Du fait de cette caractéristique commune, certains scientifiques pensent qu'il pourrait y avoir une cause commune pour toutes ces maladies. D'autres chercheurs notent que, bien que ces amas de déchets soient observés dans de nombreuses circonstances, ils sont plein de substances différentes selon les cas. Fondamentalement, chaque maladie du cerveau est associée à différentes sortes de déchets, de sorte qu'il n'est pas sûr que l'origine de ces problèmes soit la même dans chaque cas.
Pourtant, une autre famille de maladies du cerveau, associée à une accumulation de déchets, sont les soi-disant “maladies à prions”. Les prions sont des particules infectieuses, composées de protéines - à la différence des virus ou bactéries - qui n'ont pas d'ADN ni d’ARN. Jadis, ils étaient si obscurs que leur existence a été vivement débattue par les scientifiques ; ils sont maintenant une cause bien connue de la maladie du cerveau.
Tout le monde a une protéine, appelée protéine prion (PrP), laquelle est généralement en parfaite santé. Mais parfois, la protéine prion se replie dans le mauvais sens, et une fois qu'une molécule de PrP décide de le faire, toutes les autres suivent le mouvement, comme une ligne de dominos s'écroulant les uns après les autres.
Contrairement à la MH, laquelle est toujours causée par une mutation génétique, les maladies à prions peuvent se produire de trois manières différentes : vous pouvez avoir une mutation génétique dans votre gène PrP, vous pouvez être infectés par des prions (le plus célèbre : celui issu d'animaux atteints de la maladie “de la vache folle”), ou parfois il semble juste sortir de nulle part. Une fois que les dominos commencent à tomber, les cellules ont du mal à les nettoyer et à les jeter, et finalement, la cellule se remplit de déchets et meurt.
Requinquer les cellules et sortir les poubelles
L'année dernière, une équipe de chercheurs dirigée par le Professeur Giovanna Malluci, de l'Institut de Leicester, a décrit les réseaux de communication cellulaires qui, selon elle, contribuent à la mort des cellules cérébrales dans la maladie à prions.
Mallucci et ses collègues ont montré, chez les souris, que les cellules, une fois pleines de protéines mal repliées - les dominos tombés - cela déclenche finalement une chose appelée la ‘réponse aux protéines mal repliées’. Il s'agit d'un processus cellulaire normal qui indique à la cellule de nettoyer car la poubelle refoule et les choses commencent à sentir.
Dans le cadre de cette réaction de nettoyage, les cellules activent un signal cellulaire spécifique, appelé PERK. L'activation du signal PERK a pour effet de réduire considérablement la fréquence globale de génération de nouvelles protéines. Ce mécanisme draconien pourrait avoir évolué comme une manière d'accorder à la cellule une pause dans l'accumulation de déchets cellulaires.
Dans le cas de la maladie à prions, cette réaction a un raté car les prions ont des moyens malins pour échapper au signal de ‘nettoyage’. En fait, en 2012, Mallucci et ses collègues ont montré que la PrP est effectivement produite, même à des quantités plus élevées que d'habitude, lorsque la réponse aux protéines mal repliées est activée.
Dans l’étude de 2012, les auteurs ont recherché des moyens d’interférer avec la maladie à prions en interférant avec la réponse aux protéines mal repliées. L’inhibition de ce mécanisme avec des astuces génétiques a prolongé de 10% la survie des souris infectées par des prions. Dans l’intervalle, le traitement des souris infectées par des prions avec le médicament ‘salubrinal’, lequel favorise la réponse aux protéines mal repliées, a accéléré la maladie, entraînant leur mort quelques jours plus tôt.
Contrairement aux attentes, il ressort de l’interprétation de ces résultats que la réponse aux protéines mal repliées est de mauvaise qualité dans la maladie à prions. Elle accélère la mort des cellules du cerveau en réduisant la production de protéines, tout en omettant simultanément de mettre fin à la production de la protéine à la racine du problème : PrP. C’est comme si votre maison se remplissait de dominos tombés, et que vous jetiez dehors tous vos aliments et meubles, tout en achetant encore plus de dominos.
Au cours de la même année, une compagnie pharmaceutique anglaise, GlaxoSmithKlin, a publié sa découverte d’un médicament, appelé GSK2606414, pouvant atteindre le cerveau et en particulier, inhiber PERK. Cela a ouvert une opportunité pour attaquer le même signal cellulaire avec un médicament puissant qui peut être administré par voie orale et atteindre toutes les zones sur cerveau. Bonnes nouvelles, non ?
Les nouveaux résultats
«Bien que ces résultats soient intéressants, nous pensons qu'ils ne méritent pas le buzz médiatique reçu. »
Dans la nouvelle étude, qui a retenu toute l’attention, Mallucci et ses collègues ont utilisé le nouveau médicament pour inhiber la réponse aux protéines mal repliées et retarder les signes cliniques de la maladie chez les souris infectées par des prions. Un peu comme dans la phase ‘pré-symptomatique’ de la MH, les maladies à prions ont une longue période d’incubation silencieuse au cours de laquelle les prions s’accumulent mais il n’y a aucun symptôme. Au cours de cette phase, les souris agissent normalement et tout semble aller bien dans leurs cerveaux.
L’équipe de scientifiques, dirigé par Mallucci, sont les pionniers dans la recherche des signes précoces indicateurs de la maladie à prions chez des souris infectées par un prion. Ils ont constaté que les signes précoces de la maladie à prions apparaissent environ 56 jours après que les souris aient été infectées avec des prions – les souris finissent par succomber à la maladie au bout d’environ 84 jours.
Dans cette nouvelle étude, Mallucci a traité des souris avec le nouveau médicament GSK afin de voir quels effets il pourrait avoir sur l’évolution de la maladie à prions. Certaines souris traitées étaient exemptes de symptômes, alors que d’autres ont déjà les premiers symptômes de la maladie à prions dès le début de l’essai.
Bien que toutes les souris non traitées soient devenues malades au bout de 84 jours, aucune des souris traitées avec le médicament ne l’était. Les tests comportementaux et l’examen des cerveaux des souris traitées au cours de cette étape ont révélé des signes précoces de la maladie à prions chez certaines souris, mais aucun signe grave chez aucune d’entre elles. Cependant, les souris n’ont pas été suivies très longtemps pour voir pendant combien de temps elles survivraient, ou pendant combien de temps elles resteraient sans avoir la maladie.
Problème à l'extérieur du cerveau
Surtout, ce médicament GSK n'affecte pas le signal PERK seulement dans le cerveau mais agit à travers tout l'organisme. Le traitement médicamenteux semble avoir particulièrement des effets sur le pancréas, un organe essentiel pour le traitement normal du sucre par l'organisme. En effet, ce traitement semble provoquer des changements pré-diabétiques chez les souris traitées, qui ont eu une augmentation de la glycémie dans le sang et une perte de poids d'environ 20%. Conformément aux règles de protection des animaux de l'institution Mallucci, la perte de poids signifiait que les souris ne pouvaient plus être étudiées, et en conséquence, elles n'ont pas été suivies pour voir si la maladie s'installerait.
Par conséquent, nous en sommes seulement réduits à deviner à quel point ce traitement a été efficace. Dans la mesure où toutes les souris non traitées ont clairement déclaré la maladie à prions au bout de 84 jours mais qu'aucune des souris traitées n'était mortes, le traitement devait sûrement avoir retardé la maladie. Ce retard était probablement de dix jours, ou environ de 12%. Bien entendu, il aurait pu être plus élevé - mais nous ne pouvons pas conclure cela à partir de cette étude.
En général, il est toujours difficile de dire comment des pourcentages, comme ceux-ci, seraient projetés sur l'évolution de la maladie humaine. C'est particulièrement difficile en l'espèce car l'approche portant sur un inhibiteur de PERK ne cible pas la cause sous-jacente de la maladie - l'accumulation de prions - mais cherche plutôt à permettre aux neurones de tolérer une plus grande accumulation de prions avant de mourir.
Le diable est dans les détails
Malgré les inconnues, cette étude est intéressante car elle fournit une preuve de principe selon laquelle le ciblage de la voie PERK peut avoir une valeur thérapeutique pour la maladie à prions. Mais, il est improbable que la réponse aux protéines mal repliées soit la seule chose toxique à propos des prions - il existe plusieurs autres types de dysfonctionnement qui tuent peut-être les neurones, si la réponse aux protéines mal repliées n'est pas la première à le faire.
Nous trouvons ces résultats intéressants, mais, pour cette raison, nous pensons qu'ils ne méritent pas le buzz médiatique dont ils font l'objet. Nous pensons qu'il y a quelques raisons à avoir un regard plus modéré que celui porté par la presse. Premièrement, il n'existe aucune preuve selon laquelle ce composé a ‘empêché’ la neurodégénérescence. Aux termes d'une déclaration à la BBC, le Professeur Malluci est citée comme ayant dit : “Ce qui est vraiment passionnant, c'est qu'un composé a complètement empêché la neurodégénérescence et c'est une première”.
Dans une certaine perspective, on considère que ce traitement, avec plusieurs autres médicaments, a permis de retarder l’apparition de la maladie d’au moins de la même ampleur que cette étude. Dans l’une de ces précédentes études, si les souris avaient été examinées seulement quelques semaines après le début de la maladie chez les souris contrôle et pas au-delà, il serait probablement apparu que ces traitements avaient aussi ‘totalement empêché’ la neurodégénérescence. Cependant, en suivant plus longtemps les souris, ces auteurs ont pu observer que les traitements avaient simplement retardé la neurodégénérescence.
Deuxièmement : les effets néfastes peuvent être inévitables. En commentant les effets néfastes qui ont conduit à l’arrêt prématuré de cette étude, la BBC écrit : « Les effets secondaires sont un problème. Le composé agit également sur le pancréas, ce qui signifie que les souris ont développé une forme bénigne de diabète et subi une perte de poids ».
En fait, ce n’est probablement pas un effet secondaire mais, sans doute, un effet principal. Dans l’article, les auteurs citent des preuves suggérant que les changements observés dans le pancréas pourraient être dus à l’effet recherché du médicament – l’inhibition PERK – plutôt que dus à des interactions ‘hors-cible’. Si c’est le cas, alors éviter cet effet néfaste tout en essayant de développer un médicament à usage humain sera, en effet, difficile.
En abordant cette question, la BBC réponds que « Tout médicament à usage humain aurait besoin d’agir seulement sur le cerveau ». Derek Lowe, un chimiste bien connu dans le développement de médicaments travaillant actuellement au sein de Vertex Phamaceuticals, a noté sur son blog que « si vous pouviez juste retenir un inhibiteur en dehors du pancréas, vous pourriez faire des affaires. Bonne chance avec cela. Je ne peux pas imaginer comment vous pourriez le faire ». Nous non plus !
Troisièmement : La pertinence avec les maladies d’Alzheimer et de Huntington reste à démontrer. Les célèbres organes de presse, tels que Time, CBS, BBC et The Independent ont tous structuré leurs articles principalement autour de la maladie d’Alzheimer. Il existe, sans doute, des liens entre la maladie à prions et les autres maladies, comme Huntington et Alzheimer. Mais, il n’y a pas assez de preuves pour dire que cette voie spécifique, ciblée dans cette étude, est partagée entre ces maladies. Nous ne voudrions pas traiter de la même manière une intoxication alimentaire et une grippe, simplement parce qu’elles impliquent, toutes deux, des vomissements. Chacune a sa propre cause, et probablement nécessite son propre traitement.
A retenir pour les familles MH
C’est une étude bien menée, bien conçue, visant à étudier les connexions entre la maladie à prions et la réponse aux protéines mal repliées dans les cellules. Intéressante, elle démontre que si vous comprenez suffisamment la science, vous pouvez venir avec des médicaments qui peuvent retarder la mort cellulaire dans le cerveau dans des maladies, auparavant incurables.
Mais nous sommes loin d’avoir quelque chose à dire de spécifique sur la façon de développer des médicaments pour la maladie de Huntington.
Cet article a été initialement publié sous forme de billet de blog sur le blog CureFFI (http://www.cureffi.org) et a été édité en ligne avec le style HDBuzz.