Raptor dévoile les résultats de l'essai clinique de la cystéamine dans la maladie de Huntington
Raptor dévoile les résultats de mi-parcours de l'essai clinique sur la cystéamine dans la maladie de Huntington.
Par Dr Jeff Carroll 5 juin 2014 Edité par Professor Ed Wild Traduit par Laurie Galvan Initialement publié le 10 avril 2014
Le composé chimique nommé cysteamine a depuis longtemps été envisagé comme une piste intéressante pour une thérapeutique dans la maladie de Huntington. Récemment, la compagnie pharmaceutique Raptor a annoncé les résultats préliminaires concernant l’essai de la cysteamine chez les patients de la MH. L’essai clinique n’a pas permis d’atteindre le résultat attendu, mais des détails intéressants ont émergé suggérant que cet essai mérite de l’attention.
Trans-glu-quoi?
Cysteamine est une substance chimique avec une structure très simple. Ce composé bloque l’activité de petites machines appelées tissue trans-glutaminases, ou tTG dans les cellules qui poussent dans des boites de Pétri. Les tTGs peuvent être comparées à des bâtons de colle pour les cellules, collant les protéines ensemble les unes avec les autres formant des amas.
Coller des protéines ensemble est parfois très utiles –par exemple, la formation de nos cheveux, de notre peau ainsi que le coagulant de notre sang reposent sur cette exacte fonction d’assemblage. Il arrive que ce procédé aille dans le mauvais sens et forme de gros agrégats de protéines là où il ne devrait y en en avoir.
MH, glutamine and tTG
La protéine huntingtine, qui est produite à partir du gene HD, est la source de la plupart des problèmes qui en s’accumulant déclenchent la maladie de Huntington. Les protéines réalisent le plus gros du travail chez toutes les cellules de notre corps. Elles sont fabriquées en suivant les instructions encodées de notre ADN.
La mutation portée par tous les patients de la MH est une expansion de la répétition d’une portion de l’ADN du gène HD qui lit en boucle « C-A-G ». Quand le gène HD est utilisé par la cellule pour fabriquer la protéine huntingtine, ces extra C-A-G conduisent à la création d’une longue répétition de glutamine chez la protéine huntingtine.
Quand cette expansion de glutamine est plus grande que la normale, la protéine Huntingtine devient super collante. De nombreuses cellules des patients de la MH et en particuliers, les cellules du cerveau que l’on appelle neurones, contiennent des amas de protéines engluées contenant principalement la protéine huntingtine mutante.
On retrouve en abondance des amas de protéines engluées dans d’autres maladies cérébrales telles que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, ils contiennent alors d’autres protéines que la huntingtine. Cet élément commun a beaucoup enthousiasmé les scientifiques lors de sa description dans les années 90.
Est- ce- qu’agglutiner des protéines accélèrent la MH ?
Revenons à notre trans-glutaminases! Ces machines à coller utilisent la glutamine comme matière première. Cette même glutamine que l’on retrouve en abondance dans la version mutée de la protéine huntingtine.
Au début des années 2000, il y a eu une multitude d’étudesont montré que les tTG peuvent provoquer une accélération d’agrégation de la protéine mutée huntingtine.
Cela a alors permis aux scientifiques de modéliser ce qu’il pourrait se produire : la mutation de la MH résulte en une protéine huntingtine super collante qui se retrouve engluées en gros agrégats par les tTG ce qui rend les cellules du cerveau malades et provoque la MH. Ce modèle était particulièrement enthousiasmant car les scientifiques savaient qu’un composé chimique simple tel que la cysteamine était capable de bloquer les tTG et pourrait être utilisé comme traitement dans la MH.
En partant du fait que ce modèle est le reflet de ce qui se passe, nous devrions être capable de bloquer les tTG avec la cysteamine, de ralentir l’accumulation de ces agrégats dans les cellules et prévenir l’apparition de la MH. Fascinés par cette logique, les scientifiques travaillant sur la MH se sont précipités pour tester cette idée.
En théorie, si les souris modèles de la MH sont traitées avec la cystéamine (ou en se débarrassant des tTG en utilisant des astuces génétiques), elles devraient être soulagées des symptômes de la maladie. Cool, n’est –ce pas ?
Et bien, les résultats obtenus ne sont pas aussi simples que prévus. Les souris traitées avec la cysteamine vont mieux mais ne montrent pas de réduction d’agrégats dans leur cerveau ! Le traitement produit l’effet bénéfique prédit par les scientifiques mais il semblerait qu’il s'effectue à l'aide d'un autre mécanisme.
«Donc nous sommes portés à penser que le traitement puisse marcher s’ils le testent sur la bonne population mais on ne peut pas en être sur car le seul résultat positif était peut être un coup de chance. »
Cibles et mécanismes, qui a besoin d’eux ?
Quand les traitements sont développés, les scientifiques parlent de cibles et de mécanismes. Une cible est une partie spécifique de la cellule sur laquelle le traitement doit agir. Dans ce cas, la cible proposée de la cysteamine était les tTG (les machines à colle que nous essayons de modifier avec le traitement).
Nous créons des traitements qui visent une cible en particulier car nous essayons d’interférer avec un « mécanisme » spécifique. Un mécanisme est une action qu’effectue la cellule, il serait donc bénéfique soit de l’accélérer soit de le ralentir afin d'améliorer son fonctionnement. Dans le cas présent, le mécanisme d’action proposé pour la cystéamine consistait à bloquer les tTG ce qui aurait du avoir pour résultat de trouver moins d’agrégats de protéine mutée huntingtine et ainsi, améliorer la santé des cellules.
Les souris modèle de la MH traitées avec la cysteamine vont bien mais n’ont pas moins agrégats. Ce résultat suggère que le traitement est bénéfique mais que le mécanisme d’action proposé n’est probablement pas le bon.
Est-ce vraiment important ? De nombreux traitements ont été développés sans la connaissance de leur mécanisme. Nous avons mâché de l’écorce de saule pleureur depuis des millénaires pour diminuer la douleur sans comprendre qu’il contenait de l’acide acétyl-salicylique agissant sur l’inflammation.
Comprendre le mécanisme d’action des médicaments aide à développer de meilleurs traitements. Cette connaissance particulière aide les scientifiques à développer de nouvelles générations de médicament qui marchent encore mieux que la précédente.
Donc, un traitement avec un mécanisme d’action inconnu est mieux que rien mais ce n’est pas le meilleur scénario.
Est-ce que la cysteamine bonifie les cellules du cerveau ?
En 2006, un groupe de l’Institut Curie en France dirigé par Sandrine Humbert, a proposé un nouveau mécanisme pour expliquer comment la cystéamine fonctionne. Son groupe a traité des souris avec la cysteamine et à trouvé que celle-ci augmentait les niveaux d’un composé chimique très important appelé le facteur neurotrophique dérivé du cerveau ou BNDF.
Le BDNF agit sur les cellules du cerveau comme de l’engrais. Il a été proposé que la réduction des niveaux de BDNF contribue au développement de la maladie de Huntington. Donc si la cystéamine augmente les niveaux de BDNF dans le cerveau, le résultat ne pourrait qu'être bénéfique.
Les mécanismes mis en jeu lors de la prise de la cystéamine par un être humain ne sont pas clairs et nécessitent une étude plus approfondie.
Conception de l’étude CYST-HD
L’étude CYST-HD a été conçue pour tester si la cysteamine est efficace pour ralentir la progression de la MH. L’étude comprend 96 patients de la MH au Centre Hospitalier Universitaire d'Angers en France.
Elle a été planifiée pour durer 3 ans ce qui est plus long que la plupart de ce type d’études dans la MH. C’est une bonne idée car il permet au traitement de démontrer un effet sur du long terme, ce qui dans le cas d’une maladie progressive comme la MH semble être judicieux. Les résultats de mi-parcours à 18 mois ont été annoncés.
Chacun des 96 patients ont été assignés à prendre soit une pilule de cysteamine connue sous le nom de RP103 fabriquée par Raptor Pharmeceuticals, soit une pilule inactive appelée placebo pour le groupe témoin. Le traitement semble être bien toléré puisque 89 des 96 patients sont toujours sous traitement depuis 18 mois.
Un aspect encore plus intéressant de cet étude et qu’après les premiers 18 mois, tous les patients ont commencé à prendre RP103. De cette manière, si le traitement a un effet bénéfique, ils peuvent tous en bénéficier sans être contraint de rester pendant 3 ans sous placebo.
Etant donné la longueur de l’étude, les chercheurs ont décidé de laisser les patients prendre leurs médicaments de routine en plus du traitement testé. Il serait difficile pour un patient d’arrêter leur médicaments pour 3 ans seulement pour une étude.
Qu’ont-ils trouvé ?
Raptor a annoncé les résultats du RP103 des 18 mois dans la presse en disant que « Les patients sous RP103 sans tétrabénazine montrent un ralentissement significatif de la progression de leur score moteur total ». Ça à l’air bien mais qu’est que ce ça veut dire ?
Chaque fois que deux groupes de patients sont évalués sur leurs symptômes, il en résulte de nombreuses différences. La question importante est de savoir si cette différence est réellement due à l’effet du traitement ou bien si elle est due au facteur chance. Les scientifiques utilisent des tests statistiques pour déterminer si la différence observée « sort de l’ordinaire ». Si celle-ci sort vraiment de l’ordinaire, nous pensons que cette différence est réelle et non due à la chance. Nous parlons alors de résultats «statistiquement significatifs ».
Le « score moteur total » est une mesure qui détermine la sévérité des symptômes affectant les mouvements des patients de la MH.
Dans l’étude CYST-HD, Les patients sous cystéamine ont une légère amélioration de leur score moteur comparés à ceux sous placebo. Cependant la différence entre les deux groupes n’est pas très importante et les tests statistiques effectués qualifient les résultats comme non statistiquement significatifs.
Cependant, il faut se souvenir que les patients ont continué à prendre leurs médicaments pendant l’étude. Un des médicaments couramment répandu appelé tétrabénazine est connu pour améliorer le score moteur total.
Les scientifiques de chez Raptor ont discuté le fait que la tétrabénazine puisse interférer avec les résultats en masquant l’effet du RP103. Ils ont alors décidé de diviser les participants en deux groupes ceux qui sont sous tétrabénazine et ceux qui ne le sont pas.
Le groupe de patients sous RP103 n’ayant pas pris de tétrabénazine montre une amélioration de leur symptôme moteur. Cette amélioration *est statistiquement significative à la différence de ceux prenant à la fois RP103 et tetrabenazine.
Finalement, ça marche ou pas ?
Allez Jeff, sois franc : est ce que cet étude à échoué ou à réussi ?
Ce n’est pas si facile de répondre mais pour sur, RP103 a un effet. Pour comprendre pourquoi c’est compliqué, il faut s’imaginer en train de jouer au billard. Lorsque vous vous apprêtez à réaliser un tir complexe, vous allez avoir besoin d’un peu de temps pour le préparer. Avertir les gens autour de vous que vous allez effectuez un tir stylé est la seule manière de les convaincre de ce que vous prévoyez de faire.
Raptor vient d’effectuer un tir stylé (le groupe de patients de la MH montrant une amélioration de leur score moteur). Malheureusement, ils n’avaient pas averti avant de tirer ce coup. Le tir pour lequel ils avaient crié concerné la comparaison entre RP103 et le placebo (tir raté).
Donc nous sommes portés à penser que le traitement puisse marcher s’ils le testent sur la bonne population mais on ne peut pas en être sur car le seul résultat positif était peut être un coup de chance.
Et maintenant?
Les résultats n’ont pas encore été traités pour être publiés dans une « revue des pairs » où d’autres scientifiques ont la chance d’avoir accès à tous les détails de toutes les données. Les seules choses que nous savons à ce jour, proviennent des communiqués de presse et des conférences faits par Raptor.
Comme vous le savez, La MH va au delà des symptômes moteurs. Pendant qu’un sous groupe de patients montre une amélioration encourageante de leur score moteur, le résultat qui aura un vrai sens va dépendre de l'observation d'un ralentissement de la progression d’autres symptômes, comme les problèmes de raisonnement mais aussi en prenant en compte d’autres mesures sur le corps dans sa globalité ainsi que la « qualité de vie ».
Quand le rapport entier sera publié, HDBuzz va écrire une analyse plus compréhensible des résultats qui nous l’espèrons inclura d’autres mesures pour voir comment la vie quotidienne des patients s’est améliorée.
Le plus important est que pendant que nous parlons, l’étude continue. Tous les patients inclus dans l’étude sont maintenant sous cystéamine jusqu’au 36ème mois de traitement. Cette étude à long terme sera capable,nous l’espèrons, de confirmer si le traitement à un effet positif pour les patients et si ces résultats préliminaires ont été une prévision intéressante.
Le point positif réside dans le fait que Raptor détienne déjà l’autorisation d’utiliser la cystéamine chez l’être humain pour de nombreuses maladies, notamment celles affectant les reins (nephropathic cystinosis. Ceci nous permet d'espèrer que si les données à 36 mois présentent des preuves évidentes en faveur de la cystéamine,la voie pour son utilisation clinique dans la MH en sera facilitée.