Jeff CarrollPar Dr Jeff Carroll Edité par Dr Tamara Maiuri Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski

Toutes les protéines de notre corps sont constituées de petits blocs de construction chimiques, appelés acides aminés. Internet a récemment été en pleine effervescence à propos d’un lien nouvellement découvert entre la cystéine, un des acides aminés, et la maladie de Huntington. Est-il vrai, comme certains titres l’ont suggéré, que “dans la maladie de Huntington, la dégénérescence du cerveau est causée par une carence en acides aminés”.

Les acides aminés et les protéines

Dans nos cellules, la plupart des tâches sont réalisées par de petites machines appelées protéines. Celles-ci sont créées par des cellules utilisant des instructions trouvées dans nos gènes, codées dans notre ADN.

Un exemple "d'étreinte" chez les souris MH utilisées pour cette étude - à droite, une souris MH alors qu'à gauche il s'agit d'une souris normale.
Un exemple “d'étreinte” chez les souris MH utilisées pour cette étude - à droite, une souris MH alors qu'à gauche il s'agit d'une souris normale.
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Les protéines sont assemblées dans la cellule par l’addition successive de toutes petites substances chimiques en une chaîne qui augmente, un peu comme des perles sur un fil. Les minuscules substances chimiques, composant les protéines, sont appelées les acides aminés du fait de leur structure chimique.

Dans les cellules des mammifères, tels que les humains, il existe une bibliothèque d’environ 21 acides aminés utilisés pour produire des protéines. Toutes les machines complexes, que nos cellules ont besoin pour fonctionner, sont construites à partir de séquences d’acides aminés.

Chacun des quelques 20 acides aminés nécessaires à notre corps doivent être présents en quantité suffisante car, à défaut, nos cellules auraient des difficultés à produire les protéines dont elles ont besoin. Certains acides aminés sont facilement synthétisés par notre organisme – il s’agit des acides aminés “non-essentiels”. D’autres sont plus difficiles à fabriquer et nécessite un apport externe ; il s’agit des “acides aminés essentiels”.

Le lien avec la maladie de Huntington

Une équipe de scientifiques de l’Université de Johns Hopkins, dirigée par Solomon Snyder, s’est intéressée à la manière dont l’organisme produit et dégrade un des acides aminés, appelé cystéine. En fait, l’équipe de Snyder s’intéresse depuis longtemps à un dérivé du métabolisme de la cystéine, un gaz à l’odeur d’œuf pourri, appelé le sulfure d'hydrogène.

Le corps fabrique la cystéine et le sulfure d’hydrogène grâce à l’activité d’une protéine appelée cystathionine gamma-lyase (CSE). Pour étudier le rôle du sulfure d’hydrogène dans l’organisme, l’équipe de Snyder a créé une souris dépourvue du gène indiquant aux cellules la manière de produire la protéine CSE. Cette approche, dite souris knock-out est un moyen général pour étudier les fonctions des gènes – en supprimer et voir ce qui se passe chez les animaux.

Suspendues par leurs queues, les souris dépourvues du gène CSE ont effectué un mouvement d'étreinte très bizarre, rapprochant leurs quatre membres près de leur corps. Un certain nombre de souris ayant des problèmes cérébraux, y compris certaines souris MH, ont présenté ce même mouvement d’étreinte étrange. Ceci a tellement rappelé à l’équipe de Snyder les souris MH qu’ils ont décidé de voir s’il existait un lien entre l’activité de la protéine CSE et la maladie de Huntington.

Résultats de l'étude sur les cellules

Tout d’abord, l’équipe de Snyder a examiné des cerveaux issus de dons de personnes atteintes de la maladie de Huntington. Ils ont constaté que les taux de la protéine CSE avaient diminué dans les cerveaux des patients MH, ce qui pourrait suggérer que ces derniers avaient une activité CSE faible. Ceci est un indicateur intéressant selon lequel quelque chose pourrait se produire mais beaucoup de choses changent dans les cerveaux des patients MH au fil du temps, de sorte que les chercheurs doivent faire attention quant à l’interprétation de ce genre d’informations.

Il est également difficile de travailler avec ces échantillons humains, de sorte que l’équipe de Snyder s’est tournée vers les cellules des souris MH. Encore une fois, dans ce système propre, ils ont constaté des taux de CSE réduits. Lorsqu’ils ont examiné la vitesse avec laquelle les cellules produisent la cystéine, l’acide aminé produit par la protéine CSE, ce taux était également plus faible, en accord avec leur idée selon laquelle la baisse de l’activité de la protéine CSE pourrait être nocive pour les cellules MH.

Résultats de l'étude sur les souris

Compte tenu de la complexité d’une maladie comme celle d'Huntington, il n’est pas surprenant qu’un grand nombre de changements apparaissent dans les cellules porteuses du gène MH mutant. Parmi ces changements, lesquels sont effectivement importants et quels sont ceux responsables de la maladie ?

Pour résoudre ce problème en laboratoire, les chercheurs utilisent souvent des modèles animaux. Avec un modèle murin MH, il est possible d’administrer des médicaments ou des traitements expérimentaux qu’il ne serait pas éthique d’essayer chez des personnes porteuses de la mutation MH.

Donc, en l’espèce, l’équipe de Snyder a décidé de nourrir certaines souris MH suivant un régime enrichi de cystéine. Ils ont supposé que si le travail de la protéine CSE est de produire de la cystéine et que les taux de CSE étaient en baisse dans le cadre de la maladie de Huntington, peut-être qu’une augmentation des taux de cystéine pourraient être utiles pour les souris MH.

Les souris MH nourries avec de la cystéine dans leurs aliments et dans leur eau ont fait un peu mieux sur certaines évaluations utilisées en laboratoire pour être proches des symptômes de la maladie de Huntington. Comme les patients humains MH, les souris MH deviennent un peu maladroites à mesure qu’elles vieillissent. Les chercheurs testent cela en laboratoire en les faisant marcher sur une tige de rotation jusqu’à ce qu’elles tombent.

«Suspendues par leurs queues, les souris dépourvues du gène CSE ont présenté un mouvement d'étreinte très bizarre - rapprochant leurs quatre membres près de leur corps … des souris MH font ce même mouvement d'étreinte étrange. »

Dans le test de Snyder portant sur la cystéine, des souris ordinaires étaient capables de marcher sur la tige pendant environ 125 secondes. Comme prévu, les souris MH faisaient pire, restant seulement sur la tige pendant environ 55 secondes. Celles ayant pris des compléments de cystéine faisaient mieux, environ 80 secondes.

La version particulière de souris MH utilisée par le laboratoire de Snyder mourait très tôt – au bout de 12/13 semaines, toutes les souris MH étaient mortes. Dans la mesure où la durée de vie d’une souris normale peut être d’environ 2 ans, il s’agissait donc de souris très malades ! Celle-ci est utile car elle permet aux scientifiques de tester rapidement des idées en laboratoire mais ce n’est pas comme dans le cadre de la maladie de Huntington humaine où les personnes vivent longtemps avant de devenir malades.

Les souris traitées avec un complément de cystéine sont toutes mortes à quinze semaines d’âge. Elles ont donc vécu un peu plus longtemps que les souris non traitées, mais pas aussi longtemps que des souris ordinaires.

En résumé, l’administration de compléments de cystéine à un modèle murin MH à évolution rapide conduit à des améliorations modérées.

Cystéine, cystéamine, quel est le lien ?

Raptor Pharmaceuticals, une petite compagnie biotechnologique, a récemment annoncé les résultats d’un essai humain portant sur un composé appelé cystéamine, lequel fait penser à cystéine. Bien que la cystéine et la cystéamine partagent certaines parties de leurs structures chimiques, il s’agit de composés différents. Cependant, il existe des données intéressantes issues d’une précédente étude sur la souris suggérant que l’alimentation des souris avec un précurseur de la cystéamine conduit à une augmentation des taux de la cystéine dans le cerveau.

L’idée, jusqu’à présent non testée, est que les effets bénéfiques observés lors d’un essai humain portant sur la cystéamine sont liés à la capacité de ce composé à augmenter la cystéine dans le cerveau.

Cette idée a besoin d’être approfondie chez les souris avant que nous ne décidions de ce qui se passe chez les personnes, mais il s’agit d'une hypothèse intéressante que les scientifiques vont suivre.

Une réponse complexe à une question simple

Il existe toujours un certain nombre de moyens pour aborder des questions spécifiques dans le domaine de la science – certains faciles, d’autres difficiles. L’étude actuelle fait une suggestion importante : l’action réduite de la protéine CSE conduit à une carence en cystéine, laquelle entraîne à son tour la mort des cellules dans le cadre de la maladie de Huntington.

Jusqu’à présent, cette idée a été testée selon un moyen “facile” - en donnant aux souris MH un complément de cystéine et voir si elles s’amélioraient. Les auteurs travaillent actuellement sur un moyen “difficile” pour aborder cette question : l’utilisation d’astuces génétiques pour fournir des copies supplémentaires du gène CSE aux souris MH.

Compte tenu des données suggestives dans la présente étude, on devine que cela pourrait améliorer l'état de santé des souris. Nous sommes ravis d’ajouter un autre composé à la liste des choses permettant aux souris de mieux se porter mais il convient de rester prudents quant à l’interprétation de ces résultats jusqu’à ce que soient fournies plus d’informations issues des études en cours.

Conclusion : les patients MH peuvent-ils, sur la base de ces résultats, commencer à prendre des compléments de cystéine ? Nous pensons que les éléments de preuve présentés jusqu’à présent ne sont pas suffisants et que des essais supplémentaires sur la souris et l’humain sont nécessaires avant que le risque en vaille la peine.

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