La créatine à des doses élevées ‘retarde-t-elle le début’ de la maladie de Huntington ?
La créatine à des doses élevées ‘retarderait le début de la maladie de Huntington’. Espoir ou faux espoir ?
Par Dr Jeff Carroll 28 février 2014 Edité par Professor Ed Wild Traduit par Michelle Delabye & Dominique Czaplinski Initialement publié le 11 février 2014
Les résultats d’une nouvelle étude, appelée PRECREST, menée pour savoir si la créatine, complément alimentaire, peut ralentir la progression de la maladie de Huntington, ont été récemment publiés. Unique, cette recherche avait pour objectif d’étudier les effets de la prise de créatine à des doses élevées chez les personnes porteuses de la mutation MH, mais sans symptômes clairs de la maladie.
Pourquoi la créatine ?
Les scientifiques ont, depuis longtemps, constaté que la mutation MH semblait causer des problèmes avec les taux d’énergie des cellules et tissus du corps. L'imagerie cérébrale, montrant la consommation d'énergie, révèle que, chez les patients MH, des zones malades du cerveau utilisent moins d’énergie.
Depuis ces premières imageries cérébrales, un grand nombre de résultats expérimentaux soutiennent l’idée que les cellules MH ont des difficultés à maintenir des taux d’énergies suffisants. Ne pas voir assez d’énergie est une mauvaise nouvelle qui peut rapidement mener les cellules à la mort, particulièrement pour les cellules du cerveau qui travaillent durement.
Pour aider à réguler les taux d’énergie en période de stress, le corps utilise un produit chimique, appelé ‘créatine’. La créatine agit comme une sorte de banque pour stocker des bons chimiques à haute énergie supplémentaire dont les cellules ont besoin pour produire de l’énergie. Ainsi, les cellules, en fait, ne brûlent pas la créatine pour l’énergie mais l’utilisent comme un endroit pour stocker leur énergie supplémentaire pour des périodes de forte demande.
Historique de la créatine dans le cadre de la MH
Les scientifiques ont pensé que si les tissus MH manquent d’énergie et que la créatine aide à agrandir la banque d’énergie disponible, peut-être devraient-ils étudier la créatine en tant que traitement éventuel pour la MH. En fait, dès 1998, les scientifiques ont décrit des études utilisant des souris MH traitées avec de la créatine, lesquelles ont montré une certaine amélioration.
Ces premiers succès chez les animaux ont suggéré qu’il serait intéressant de tester la créatine chez les patients MH. Egalement, contrairement à beaucoup d’autres médicaments, la créatine est une substance normalement produite dans le corps ; donc ce type de traitement devrait être relativement sans danger.
A ce jour, plusieurs essais portant sur la créatine ont été menés chez des patients MH. En général, ces études montrent que les doses de créatine testées (5-10g/jour) pénètrent dans le corps, mais ne parviennent pas à avoir des effets bénéfiques significatifs pour les patients.
Problème éventuel avec ces premières études : elles ont été menées chez des patients ayant déjà développé les symptômes de la MH. Les essais avaient, peut-être, débuté trop tard pour avoir des effets bénéfiques.
«Après avoir pris une forte dose de créatine, entre un et deux ans, les participants ayant la mutation MH ont montré une atrophie plus lente des zones profondes du cerveau, et un amincissement moindre du cortex. Ces zones ont encore diminué mais à un rythme plus lent. »
Autre préoccupation des scientifiques : des données issues d’autres maladies suggèrent que la créatine pourrait être prise à des doses assez élevées – jusqu’à 30 grammes par jour – pour atteindre le cerveau. Les premières études chez des patients humains n’avaient, peut-être, pas utilisé suffisamment de créatine pour que celle-ci soit efficace.
Maintenant, 30 grammes de n’importe quel traitement représentent beaucoup de médicaments à prendre ! Un cachet d'aspirine à pleine puissance délivre moins d'un demi-gramme de substance active. Donc, pour obtenir 30 grammes d’aspirine, il faudrait prendre environ une centaine de cachets. Ne pas essayer chez soi !
Conception d'un nouvel essai
L’étude décrite récemment visait à tenir compte des limites des études précédentes. Premièrement, l’étude a été conduite en utilisant des sujets à risque, qui n’avaient pas encore développé les symptômes. Deuxièmement, elle a été conçue pour donner aux personnes une dose de créatine augmentée, jusqu’à 30 grammes par jour (prise en deux doses de 15 grammes).
Caractéristique unique de cet essai : les personnes issues de familles MH ont été autorisées à y participer sans être génétiquement testées pour confirmer qu’elles étaient porteuses de la mutation. De précédentes études MH ont été menées avec l’aide de personnes ayant des symptômes évidents de la MH, ou des personnes ayant effectué le test et se sachant porteuses de la mutation.
Dans l'étude PRECREST, les participants à risque ont été autorisés à s’inscrire sans subir le test prédictif. En général, les organismes de réglementation froncent les sourcils, s’agissant de l’administration de médicaments expérimentaux chez des sujets sains ; ce type d’essai est donc très rare.
En l’espèce, dans la mesure où la créatine a largement été considérée comme un traitement “sans danger”, la Commission d’examen l’a approuvée. Il semble peu probable que ce projet d’essai puisse être reproduit à l’avenir lors d’essais de médicaments plus expérimentaux, compte tenu des risques potentiels pour les personnes n’ayant pas la mutation MH.
Quels ont été les bons effets ?
L’étude a suivi les participants jusqu’à 18 mois après le début de la prise de créatine à des doses élevées. Certains participants ont commencé à prendre de la créatine tout de suite, tandis que d'autres ont pris un placebo pendant un an et sont, ensuite, passés plus tard à la créatine dans l'étude.
Tout au long de l’étude, les scientifiques ont examiné les participants s’agissant des changements présentés par les porteurs de la mutation MH. Aux termes d’études observationnelles à long terme des porteurs de la mutation MH, nous savons que, bien avant que toute personne soit diagnostiquée porteuse de la mutation MH, celle-ci présente des changements au niveau de sa réflexion, de sa mémoire et de la forme de son cerveau.
Plus précisément, certaines zones profondes du cerveau s’atrophient chez les personnes porteuses de la mutation MH, et la partie ridée externe du cerveau (le “cortex”) s’amincit un peu. Les longs “câbles” reliant les zones du cerveau (appelés la “substance blanche” par les scientifiques) semblent également être précocement interrompus dans les cerveaux de ces mêmes personnes.
Après avoir pris la créatine à des doses élevées pendant un à deux ans, les participants ayant la mutation MH ont montré un ralentissement de l’atrophie des zones profondes du cerveau et un amincissement moindre du cortex. Ces zones ont encore diminué mais à un rythme plus lent. Ces effets ont seulement été observés chez les personnes porteuses de la mutation, et non chez les sujets sains ayant pris de la créatine.
Ceci semble merveilleux, mais il est important de se demander si le changement, s’agissant de l’atrophie, est réellement l'évidence du ralentissement de la progression de la maladie. Il est possible que la créatine entraîne un gonflement ou un accroissement des cellules du cerveau MH, sans les rendre plus saines. Un tel accroissement pourrait produire un faux optimisme et même, pourrait être nuisible. Ce n'est pas quelque chose que cet essai peut, de toute façon, nous dire, car les patients n’ont pas été suivis assez longtemps afin de voir si le traitement par la créatine retardait le début d’apparition des symptômes.
Quels ont été les mauvais effets ?
«Les personnes atteintes de la MH devraient-elles, sur la base de cette étude, commencer à prendre de la créatine à fortes doses ? Non. Nous ne savons pas ce que signifient les changements observés dans les imageries cérébrales, et nous pensons qu’il n’est pas raisonnable de conclure, sur la base de l’étude PRECREST, que la créatine a ralentit la progression de la MH. »
Dans toute étude complexe, comme celle-ci, il existe des bons et mauvais effets. Tout d’abord, une proportion importante de participants à l'étude avait du mal à prendre de fortes doses de créatine chaque jour, éprouvant des problèmes d’estomac et d’autres complications, mais aucun d’entre eux n’étaient graves.
Les changements au niveau de la réflexion et de la mémoire, d’ores et déjà observés précédemment chez les porteurs de la mutation MH, ont, à nouveau, été observés dans cette étude. Par rapport aux sujets sains, les personnes porteuses de la mutation semblaient avoir plus de difficultés avec les tests sur la mémoire et sur la réflexion. Malheureusement, l’administration de créatine n’a pas résolu ces problèmes, bien qu’elle ait été utile s’agissant de l’atrophie du cerveau. C’est dommage car elle rend impossible l’interprétation avec confiance des imageries cérébrales s'agissant des changements.
De même, les auteurs ont confirmé que les personnes porteuses de la mutation MH présentent des interruptions dans le “câblage” entre les régions cérébrales. La prise de créatine n’a pas été utile à l’amélioration de ces problèmes.
Alors, devrions-nous prendre de la créatine ?
Cette étude a porté sur une idée importante : la prise de doses élevées de créatine pourrait ralentir la progression des changements chez les personnes porteuses de la mutation. Plusieurs atrophies du cerveau liées aux changements ont été améliorées, mais les changements observés dans le câblage du cerveau et les capacités de réflexion ne se sont pas améliorés.
Les personnes atteintes de la MH devraient-elles, sur la base de cette étude, commencer à prendre de la créatine à des doses élevées ? Non. Nous ne savons pas ce que signifient les changements observés dans les imageries cérébrales, et nous pensons qu’il n’est pas raisonnable de conclure, sur la base de l’étude PRECREST, que la créatine a ralentit la progression de la MH. De plus, la prise de créatine à des doses élevées n’est pas une sinécure, comme l’ont montré des taux élevés d’effets secondaires.
Une autre étude, plus grande, portant sur la créatine, appelée CREST-E, est en cours. Celle-ci nous aidera à décider ce que signifient les changements observés dans les imageries cérébrales, en particulier si les mêmes avantages au niveau de l’atrophie du cerveau sont observés, parallèlement aux changements s'agissant des symptômes des personnes porteuses de la mutation MH.